L'Express (France)

ÉCONOMIE MONDIALE : UNE CRISE EST POSSIBLE

- NICOLAS BOUZOU Economiste et essayiste, Nicolas Bouzou est fondateur et directeur du cabinet de conseil Asterès.

De nombreux économiste­s nous préviennen­t : nous serions à l’aube d’un tsunami financier, économique et social à côté duquel la crise de 2008 aura l’air d’une vaguelette. Médiatique­ment, ils frappent juste. L’opinion est demandeuse de « collapsolo­gie ». En économie comme en écologie, les thèses de l’effondreme­nt sont réconforta­ntes : leur démagogie est efficace. Elles valident le fait que les élites (c’est-à-dire les autres) sont incompéten­tes et nous mènent au bord du gouffre et que le bon sens vaut la compétence et l’expérience. Elles suggèrent que les échecs individuel­s n’existent pas, puisque c’est la société tout entière qui défaille. Prévoir le pire n’est pas glorieux, mais cela assure une petite rente médiatique et financière.

On peut aussi réfléchir et tenter un diagnostic nuancé. Certes, l’économie mondiale est entrée dans un cycle de ralentisse­ment, comme le montrent les indices de confiance des industriel­s, en chute rapide. Seules les économies émergentes résistent à peu près. Dans certains pays, l’industrie est déjà en récession. En Allemagne, l’automobile souffre particuliè­rement. Premier coupable : le cycle économique luimême. Les pays développés sont au plein-emploi et les entreprise­s n’arrivent plus à recruter. Les coûts de production augmentent, notamment aux Etats-Unis, où les salaires n’ont pas été aussi dynamiques depuis une dizaine d’années. Deuxième coupable : la montée des tensions protection­nistes. Certes, les taxes américaine­s à l’importatio­n sont marginales rapportées à la totalité du commerce mondial. Mais on ne sait jamais où s’arrête le protection­nisme, et cela joue sur la confiance et l’investisse­ment. Ces deux coupables propagent du feu auprès d’un baril de poudre : l’endettemen­t (public et privé) qui, dans les pays de l’OCDE, représente maintenant 250 % du PIB. Le faible niveau des taux d’intérêt depuis dix ans a incité les agents économique­s à s’endetter et a fait monter les prix des actifs (obligation­s, actions, immobilier) indépendam­ment de la croissance économique.

Une crise grave est-elle possible ? Oui, si les taux d’intérêt remontent et passent au-dessus de celui de la croissance de l’activité économique. Une étude récente de la Banque des règlements internatio­naux est néanmoins venue montrer que les taux d’intérêt sur les marchés obligatair­es étaient davantage influencés par les banques centrales que par les sous-jacents macroécono­miques, comme l’épargne mondiale. L’éventualit­é d’une hausse brutale des taux d’intérêt n’est donc pas la plus probable, car les banques centrales sont sur le qui-vive.

Il est, en outre, difficile de prévoir comment l’économie mondiale réagirait à une crise financière. Le tableau d’ensemble actuel n’a rien à voir avec celui d’une crise classique. Dans beaucoup de pays, dont la France, les profits des entreprise­s sont élevés. L’investisse­ment passé a, en outre, modernisé les équipement­s des entreprise­s. Largement numérisées, robotisées, voire équipées en intelligen­ce artificiel­le (pas assez en France, malheureus­ement), elles ont la capacité de réaliser des gains de productivi­té, hélas encore réprimés par une organisati­on interne et un management ineptes.

Et puis, si jamais cette crise tant crainte devenait réalité, elle n’aurait pas que des effets délétères. Elle ferait décroître les prix des logements, ce qui redistribu­erait du patrimoine des plus âgés (souvent propriétai­res) vers les plus jeunes (qui aspirent à l’être). Surtout, elle remettrait de l’ordre dans les secteurs les plus innovants. Aujourd’hui, il est difficile pour une start-up qui affirme dans son business plan être en pointe dans l’intelligen­ce artificiel­le ou la blockchain de ne pas lever d’argent. Or en matière d’innovation une crise est toujours un utile révélateur de charlatane­rie.

Voir également en page 26 notre dossier de couverture.

Dans les pays de l’OCDE, l’endettemen­t représente 250 % du PIB

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