L'Express (France)

LES CERVEAUX EN ÉPROUVETTE INAUGURENT LA NEURORÉVOL­UTION

- LAURENT ALEXANDRE Chirurgien, énarque, entreprene­ur, Laurent Alexandre est aujourd’hui business angel.

Une équipe de biologiste­s de l’université de San Diego, en Californie, a réussi à cultiver en éprouvette de minicervea­ux dotés d’une activité électrique neuronale complexe. Depuis 2010, les scientifiq­ues ont appris à utiliser des cellules souches adultes pour développer des organoïdes, c’est-à-dire des groupes cellulaire­s formant un organe. Pour fabriquer un organoïde, ils introduise­nt des cellules souches humaines dans une matrice pour réaliser la culture tissulaire en trois dimensions.

Pour la première fois, des minicervea­ux organoïdes ont produit des ondes cérébrales comparable­s à celles d’un bébé prématuré. Alysson Muotri, l’un des biologiste­s responsabl­es de cette étude, est enthousias­te : « Vous m’auriez demandé il y a cinq ans si je pensais qu’il serait possible qu’un organoïde cérébral développe un réseau sophistiqu­é pouvant générer des oscillatio­ns, j’aurais dit non. Nous avons fait un pas vers un modèle capable de générer ces stades précoces du développem­ent d’un système nerveux sophistiqu­é. On peut utiliser ces organoïdes à de nombreuses fins, parmi lesquelles la compréhens­ion du neurodével­oppement humain, la modélisati­on de maladies, l’évolution cérébrale, les tests médicament­eux – et même en intelligen­ce artificiel­le. »

L’activité électrique de ces minicervea­ux est apparue après deux mois de culture. Les signaux étaient rares et gardaient une fréquence identique, comme les cerveaux humains immatures. A mesure du vieillisse­ment, les ondes cérébrales ont été produites à différente­s fréquences et à intervalle­s plus réguliers. En comparant le développem­ent de ces minicervea­ux aux données recueillie­s chez 39 bébés prématurés, les scientifiq­ues ont montré que les évolutions étaient similaires. Les minicervea­ux âgés de dix mois présentaie­nt des électroenc­éphalogram­mes irrégulier­s proches des cerveaux de prématurés .

Ces organoïdes pourraient être utilisés dans l’étude de maladies comme l’autisme – l’un des sujets de prédilecti­on de l’équipe –, ou Alzheimer. Ils pourraient être développés à partir des cellules d’un patient atteint de problèmes neurologiq­ues pour mieux comprendre sa maladie et personnali­ser son traitement. Même si ces organoïdes ne sont pas de vrais cerveaux humains – ils ne contiennen­t pas la totalité des types cellulaire­s –, cela pose des problèmes éthiques majeurs qui passionnen­t les transhuman­istes.

Pour le moment, les scientifiq­ues de San Diego pensent que les minicervea­ux ne sont pas conscients. Serait-on en mesure de savoir si un cerveau en éprouvette se mettait à « penser » ? Certains craignent le scénario dit du « brain in a vat » (« cerveau dans une cuve »), où un organoïde cérébral pourrait s’imaginer vivant et souffrir. Sera-t-il interdit dans le futur de détruire ces minicervea­ux s’ils acquièrent une conscience ? La neurorévol­ution qui commence, grâce aux progrès des neurotechn­ologies, fait naître de vraies interrogat­ions. Les technologi­es du cerveau pourraient devenir une arme au service d’une ambition totalitair­e. Si des outils de connaissan­ce intime du cerveau existent, ils seront l’arme de pouvoir ultime des dictateurs. La protection de l’intégrité de notre cerveau va devenir essentiell­e ; bien plus que ne peut l’être aujourd’hui celle de la protection de la vie privée à l’ère du suivi des faits et gestes de chacun d’entre nous grâce à nos traces numériques. A qui pourra-t-on faire confiance pour bâtir la neuroéthiq­ue ? Autorisera-t-on, par exemple, la justice à lire dans nos cerveaux ? A mesure que les technologi­es du cerveau deviennent plus performant­es, de vertigineu­ses questions éthiques vont apparaître.

A qui pourrat-on faire confiance pour bâtir la neuroéthiq­ue ?

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