BON COURAGE, MADAME LAGARDE !
Le 1er novembre, l’ex-patronne du FMI prendra les rênes de la BCE. Problème, ses marges de manoeuvre sont de plus en plus étroites.
Christine Lagarde n’était pas à Francfort ce jeudi 12 septembre. Mais elle n’a sans doute pas manqué une miette d’une des dernières apparitions de Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE). Dans un peu plus d’un mois, le 1er novembre, c’est elle qui mènera les débats dans l’austère salle des gouverneurs, au 41e étage d’une des tours jumelles du siège de la BCE. De là-haut, la vue sur les bords du Main est imprenable, même si les gratteciel du centre-ville, métamorphosé en petit Manhattan allemand, barrent la ligne d’horizon. La Française aura peu de temps pour admirer la vue. Car sa tâche s’annonce ardue. Pari osé que d’enfiler le costume du banquier italien, devenu en quelques années une icône. Pour beaucoup, « Super Mario » est le sauveur de la zone euro.
Alors, ce jeudi 12 septembre, pour ranimer une économie flageolante, il en a remis une louche. Toujours ce profil d’oiseau de proie, le visage émacié, le débit lent, les silences pesants. En fin stratège, l’Italien avait préparé le terrain depuis l’été, faisant monter la pression. Et il n’a pas déçu. Sa mesure phare, sans doute la plus controversée, porte sur la reprise des achats de titres de dettes publiques et privées pour un montant de 20 milliards d’euros par mois à compter de novembre. Draghi a aussi annoncé la baisse de - 0,40 % à - 0,50 % du taux qui frappe les liquidités excédentaires que les banques font dormir au guichet de la BCE. Le but : les encourager à distribuer plus de crédits aux entreprises et aux ménages.
Après tout, la recette magique n’a pas si mal marché. Depuis 2015, 2 600 milliards d’euros ont été déversés sur les marchés. Sauf qu’une petite musique dissonante commence à se faire entendre. Et si tout cela était vain ? Et si Super Mario n’était devenu qu’une marionnette aux mains des marchés financiers, drogués à l’argent facile ? Et si Christine Lagarde allait prendre les rênes d’une machine de guerre dépourvue de munitions pour exécuter sa mission ?
RÉINVENTER LA BCE ?
Mohamed El-Erian, le conseiller économique d’Allianz et l’un des gourous les plus écoutés de la planète finance, ne prend pas de gants : « Plus l’irrationnel gagne la BCE, moins les effets sont positifs et plus grands sont les dangers. » Yoda, de Star Wars, n’aurait pas dit mieux. L’hérésie des taux négatifs essore les banques, tue à petit feu les assureurs et pousse les investisseurs à prendre toujours plus de risques pour trouver du rendement.
Que peut faire Christine Lagarde ? Mettre ses pas dans ceux de son prédécesseur tout en regardant les murs de la salle des gouverneurs se rétrécir peu à peu. Ou réinventer la BCE et casser les codes. Certains lui donnent déjà quelques pistes. La première : « l’hélicoptère monnaie », une idée lancée par l’économiste américain Milton Friedman à la fin des années 1960. En clair, la distribution directe d’argent aux ménages ou aux entreprises. La BCE pourrait aussi conditionner l’octroi de liquidités aux banques en fonction des crédits que ces dernières distribuent sous peine de sanctions financières.
Seconde piste : la transformation de la BCE en grande banque du climat. Elle pourrait acheter à un prix préférentiel les titres de dettes ayant servi à financer des projets en faveur de la transition énergétique. « Mieux, la BCE pourrait financer de vastes chantiers d’infrastructures vertes grâce à des avances à la Banque européenne d’investissement », suggère l’économiste Véronique Riches-Flores. Christine Lagarde, nouvelle égérie écolo ? Un rôle qu’elle n’a pas encore interprété !