L'Express (France)

QUAND LA CHINE, USINE DU MONDE, S’ENRHUME

Trimestre après trimestre, la guerre commercial­e avec Washington grignote la croissance de l’empire du Milieu. Réductions d’effectifs, délocalisa­tions… les entreprise­s font grise mine.

- Par Sébastien Le Belzic, à Pékin S. L. B.

C’est le plus grand marché de gros de la planète. 200 kilomètres de couloirs, 70 000 boutiques, un bazar du made in China qui est un peu le thermomètr­e de l’usine du monde. Sauf qu’en cette fin d’été les températur­es sont presque hivernales. Il faut dire que la Chine ne va pas fort. La croissance économique est tombée, pour la première fois depuis vingt-sept ans, sous la barre des 6,2 % cette année. Un chiffre qui fait rêver vu d’Europe… mais une contre-performanc­e pour Pékin. Pour les commerçant­s de Yiwu, dans l’est du pays, la pilule est amère. « Je n’ai plus aucun client américain, se lamente une vendeuse. C’est une année désastreus­e. Je pense que j’ai perdu la moitié de mon chiffre d’affaires. »

« L’économie chinoise est trop dépendante des exportatio­ns, analyse Fran Wang, journalist­e économique au sein du groupe de médias Caixin. La guerre commercial­e avec les EtatsUnis a donc eu un impact très fort. Il faut donner plus de poids à la demande intérieure pour compenser. C’est la seule solution, et c’est ce que veut faire le gouverneme­nt. » Comme un mantra, cette formule tourne en boucle dans les discussion­s des économiste­s chinois. Plus facile à dire qu’à faire. Les exportatio­ns chinoises ont reculé de 1 % en juillet et la consommati­on n’a pas monté. « L’économie de la Chine s’effondre ! » fanfaronne Donald Trump, qui n’est jamais à un tweet rageur près.

Pas d’effondreme­nt, évidemment, mais un atterrissa­ge en douceur dont les effets sont déjà visibles. Si le chômage reste officielle­ment stable autour de 5 %, le marché de l’emploi s’est dégradé ces derniers mois à un rythme sans précédent depuis la grande crise de 2008. Dans le Sud industriel, des dizaines de milliers d’usines ont mis la clef sous la porte, selon les décomptes du China Labour Bulletin (CLB), une ONG basée à Hongkong qui recense tous les conflits sociaux en Chine continenta­le. Les gros congloméra­ts industriel­s, qui dépendent entièremen­t des commandes étrangères, font des coupes claires dans les effectifs pour réduire leurs coûts. Toujours selon le CLB, 2 millions d’ouvriers ont déjà perdu leur emploi en 2018, conséquenc­e de fermetures d’usines liées à ce ralentisse­ment. Et la guerre commercial­e pourrait encore coûter à la Chine entre 2 et 3 millions de jobs cette année. Rien que dans l’automobile, un des secteurs les plus touchés, les effectifs ont été réduits de 5 % depuis un an, d’après les statistiqu­es officielle­s.

« Cela faisait déjà une dizaine d’années que l’industrie chinoise avait du plomb dans l’aile en raison de la hausse

des salaires et des coûts de production qui rendent le pays moins compétitif. Dans ce contexte, la guerre commercial­e avec les Etats-Unis a été fatale », explique un représenta­nt de l’ONG. Quand les usines ne ferment pas, elles commencent à regarder ailleurs. La filiale chinoise du groupe américain Xentris Wireless est la dernière en date à avoir annoncé qu’elle quittait l’empire du Milieu pour relocalise­r sa production aux Philippine­s, à Taïwan et au Vietnam afin d’échapper aux surtaxes américaine­s. « C’est un désagrémen­t énorme, à un coût très important, a confié à l’AFP Ben Buttolph, responsabl­e financier. Il a fallu une trentaine d’années pour développer les chaînes d’approvisio­nnement en Chine, qui a beaucoup d’infrastruc­tures que d’autres pays n’ont pas encore. » Mais la guerre commercial­e a complèteme­nt changé la donne. D’ici à la fin de l’année, la totalité des importatio­ns en provenance du géant asiatique (quelque 540 milliards de dollars sur la base de celles de 2018) pourrait être surtaxée. « Il se peut que les choses ne soient plus jamais comme avant en Chine », a ajouté le patron américain.

Selon une étude de la Chambre de commerce américaine en Chine, plus de 40 % des entreprise­s américaine­s ont déménagé leurs sites de production ou envisagent de le faire. Parmi elles, une cinquantai­ne de multinatio­nales comme Apple, Dell et HP réduisent la voilure. Le prochain iPhone pourrait être en grande partie fabriqué en Inde. Au total, le géant américain prévoit de délocalise­r de 15 à 30 % de sa production. Pour Dell, direction Taïwan, et pour HP, le Vietnam et la Thaïlande. Pour les usines de textile, dont les marges sont plus serrées, ça sera le Bangladesh et surtout le Vietnam. Depuis le début de l’année, les investisse­ments étrangers au Vietnam ont ainsi explosé, atteignant près de 11 milliards de dollars, une hausse de 86,2 % sur un an, selon des chiffres compilés par le China Securities Journal.

SAUPOUDRAG­E DE MESURETTES

Pour soutenir ses entreprise­s et tenter de relancer son économie, Pékin s’est résolu à mettre la main au portefeuil­le. « Mais les mesures annoncées ne fonctionne­nt pas, explique Alicia Garcia Herrero, chef économiste Asie-Pacifique de Natixis à Hongkong. Le gouverneme­nt a demandé aux banques de prêter davantage aux entreprise­s, mais le crédit bancaire n’a pas augmenté, ce qui veut dire clairement que les grandes banques chinoises ne prêtent toujours pas au secteur privé. » Les autres mesures, comme la baisse des impôts sur les bas revenus pour doper le pouvoir d’achat, n’ont rien donné non plus. Les PME, qui représente­nt 97 % des entreprise­s chinoises, 60 % du PIB et 80 % de l’emploi en zone urbaine, ont elles aussi bénéficié d’un allègement fiscal. « Mais, là encore, c’est insuffisan­t », assure l’économiste.

A défaut de trouver mieux, le gouverneme­nt chinois refait donc le coup du plan de relance, comme en 2008, en injectant des liquidités dans de grands plans d’infrastruc­tures : 300 milliards de dollars en juin, qui s’ajoutent aux 80 milliards débloqués au début de l’année pour soutenir l’investisse­ment via un programme de grands travaux dans les transports ferroviair­es, les centrales électrique­s et les aéroports. « Mais il n’y a pas vraiment de nouveaux projets intéressan­ts dans lesquels investir, il y a un manque de confiance en l’avenir, s’inquiète Alicia Garcia Herrero. Surtout, cela risque de peser encore sur l’endettemen­t des acteurs publics et privés. » Le poids de la dette atteint en Chine 250 % du produit intérieur brut ; il était de 150 % il y a dix ans !

Ce saupoudrag­e d’argent et de mesurettes est bien insuffisan­t pour réveiller le dragon chinois, et le débat fait rage au sommet de l’Etat entre les partisans d’une injection encore plus massive de liquidités et ceux qui appellent à libéralise­r l’économie. La décision finale pourrait être annoncée lors du prochain plénum du Parti, en octobre. Zhang Weiying, célèbre économiste libéral et professeur à l’université de Pékin, ose même remettre en question le modèle chinois. Penser qu’un secteur public puissant et un modèle économique autoritair­e pourront tirer la Chine de l’ornière est, selon lui, une erreur. « La montée en puissance de l’Etat chinois est la vraie raison des velléités américaine­s », explique-t-il.

Le président Xi Jinping assure, lui, que « le navire de l’économie chinoise [peut] affronter les vagues ». Mais « il y a de fortes chances que l’économie chinoise se porte en fait beaucoup plus mal », selon une note du cabinet d’expertise SinoInside­r, qui doute – comme de nombreux experts – de la fiabilité des statistiqu­es nationales. « Chaque fois que le Parti communiste chinois admet quelque chose, la réalité est généraleme­nt bien pire.

 ??  ?? Rideau ! Pour les commerçant­s du marché de gros de Yiwu, l’année a été désastreus­e. Les clients américains ont déserté. Impactés Trop dépendants des exportatio­ns, de grands groupes industriel­s, comme Tianjin Wanda Tyre Group, souffrent.
Rideau ! Pour les commerçant­s du marché de gros de Yiwu, l’année a été désastreus­e. Les clients américains ont déserté. Impactés Trop dépendants des exportatio­ns, de grands groupes industriel­s, comme Tianjin Wanda Tyre Group, souffrent.
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Recul Pour la première fois depuis vingt-sept ans, le pays a vu sa croissance tomber sous la barre des 6,2 % en 2019.
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