QUAND LA CHINE, USINE DU MONDE, S’ENRHUME
Trimestre après trimestre, la guerre commerciale avec Washington grignote la croissance de l’empire du Milieu. Réductions d’effectifs, délocalisations… les entreprises font grise mine.
C’est le plus grand marché de gros de la planète. 200 kilomètres de couloirs, 70 000 boutiques, un bazar du made in China qui est un peu le thermomètre de l’usine du monde. Sauf qu’en cette fin d’été les températures sont presque hivernales. Il faut dire que la Chine ne va pas fort. La croissance économique est tombée, pour la première fois depuis vingt-sept ans, sous la barre des 6,2 % cette année. Un chiffre qui fait rêver vu d’Europe… mais une contre-performance pour Pékin. Pour les commerçants de Yiwu, dans l’est du pays, la pilule est amère. « Je n’ai plus aucun client américain, se lamente une vendeuse. C’est une année désastreuse. Je pense que j’ai perdu la moitié de mon chiffre d’affaires. »
« L’économie chinoise est trop dépendante des exportations, analyse Fran Wang, journaliste économique au sein du groupe de médias Caixin. La guerre commerciale avec les EtatsUnis a donc eu un impact très fort. Il faut donner plus de poids à la demande intérieure pour compenser. C’est la seule solution, et c’est ce que veut faire le gouvernement. » Comme un mantra, cette formule tourne en boucle dans les discussions des économistes chinois. Plus facile à dire qu’à faire. Les exportations chinoises ont reculé de 1 % en juillet et la consommation n’a pas monté. « L’économie de la Chine s’effondre ! » fanfaronne Donald Trump, qui n’est jamais à un tweet rageur près.
Pas d’effondrement, évidemment, mais un atterrissage en douceur dont les effets sont déjà visibles. Si le chômage reste officiellement stable autour de 5 %, le marché de l’emploi s’est dégradé ces derniers mois à un rythme sans précédent depuis la grande crise de 2008. Dans le Sud industriel, des dizaines de milliers d’usines ont mis la clef sous la porte, selon les décomptes du China Labour Bulletin (CLB), une ONG basée à Hongkong qui recense tous les conflits sociaux en Chine continentale. Les gros conglomérats industriels, qui dépendent entièrement des commandes étrangères, font des coupes claires dans les effectifs pour réduire leurs coûts. Toujours selon le CLB, 2 millions d’ouvriers ont déjà perdu leur emploi en 2018, conséquence de fermetures d’usines liées à ce ralentissement. Et la guerre commerciale pourrait encore coûter à la Chine entre 2 et 3 millions de jobs cette année. Rien que dans l’automobile, un des secteurs les plus touchés, les effectifs ont été réduits de 5 % depuis un an, d’après les statistiques officielles.
« Cela faisait déjà une dizaine d’années que l’industrie chinoise avait du plomb dans l’aile en raison de la hausse
des salaires et des coûts de production qui rendent le pays moins compétitif. Dans ce contexte, la guerre commerciale avec les Etats-Unis a été fatale », explique un représentant de l’ONG. Quand les usines ne ferment pas, elles commencent à regarder ailleurs. La filiale chinoise du groupe américain Xentris Wireless est la dernière en date à avoir annoncé qu’elle quittait l’empire du Milieu pour relocaliser sa production aux Philippines, à Taïwan et au Vietnam afin d’échapper aux surtaxes américaines. « C’est un désagrément énorme, à un coût très important, a confié à l’AFP Ben Buttolph, responsable financier. Il a fallu une trentaine d’années pour développer les chaînes d’approvisionnement en Chine, qui a beaucoup d’infrastructures que d’autres pays n’ont pas encore. » Mais la guerre commerciale a complètement changé la donne. D’ici à la fin de l’année, la totalité des importations en provenance du géant asiatique (quelque 540 milliards de dollars sur la base de celles de 2018) pourrait être surtaxée. « Il se peut que les choses ne soient plus jamais comme avant en Chine », a ajouté le patron américain.
Selon une étude de la Chambre de commerce américaine en Chine, plus de 40 % des entreprises américaines ont déménagé leurs sites de production ou envisagent de le faire. Parmi elles, une cinquantaine de multinationales comme Apple, Dell et HP réduisent la voilure. Le prochain iPhone pourrait être en grande partie fabriqué en Inde. Au total, le géant américain prévoit de délocaliser de 15 à 30 % de sa production. Pour Dell, direction Taïwan, et pour HP, le Vietnam et la Thaïlande. Pour les usines de textile, dont les marges sont plus serrées, ça sera le Bangladesh et surtout le Vietnam. Depuis le début de l’année, les investissements étrangers au Vietnam ont ainsi explosé, atteignant près de 11 milliards de dollars, une hausse de 86,2 % sur un an, selon des chiffres compilés par le China Securities Journal.
SAUPOUDRAGE DE MESURETTES
Pour soutenir ses entreprises et tenter de relancer son économie, Pékin s’est résolu à mettre la main au portefeuille. « Mais les mesures annoncées ne fonctionnent pas, explique Alicia Garcia Herrero, chef économiste Asie-Pacifique de Natixis à Hongkong. Le gouvernement a demandé aux banques de prêter davantage aux entreprises, mais le crédit bancaire n’a pas augmenté, ce qui veut dire clairement que les grandes banques chinoises ne prêtent toujours pas au secteur privé. » Les autres mesures, comme la baisse des impôts sur les bas revenus pour doper le pouvoir d’achat, n’ont rien donné non plus. Les PME, qui représentent 97 % des entreprises chinoises, 60 % du PIB et 80 % de l’emploi en zone urbaine, ont elles aussi bénéficié d’un allègement fiscal. « Mais, là encore, c’est insuffisant », assure l’économiste.
A défaut de trouver mieux, le gouvernement chinois refait donc le coup du plan de relance, comme en 2008, en injectant des liquidités dans de grands plans d’infrastructures : 300 milliards de dollars en juin, qui s’ajoutent aux 80 milliards débloqués au début de l’année pour soutenir l’investissement via un programme de grands travaux dans les transports ferroviaires, les centrales électriques et les aéroports. « Mais il n’y a pas vraiment de nouveaux projets intéressants dans lesquels investir, il y a un manque de confiance en l’avenir, s’inquiète Alicia Garcia Herrero. Surtout, cela risque de peser encore sur l’endettement des acteurs publics et privés. » Le poids de la dette atteint en Chine 250 % du produit intérieur brut ; il était de 150 % il y a dix ans !
Ce saupoudrage d’argent et de mesurettes est bien insuffisant pour réveiller le dragon chinois, et le débat fait rage au sommet de l’Etat entre les partisans d’une injection encore plus massive de liquidités et ceux qui appellent à libéraliser l’économie. La décision finale pourrait être annoncée lors du prochain plénum du Parti, en octobre. Zhang Weiying, célèbre économiste libéral et professeur à l’université de Pékin, ose même remettre en question le modèle chinois. Penser qu’un secteur public puissant et un modèle économique autoritaire pourront tirer la Chine de l’ornière est, selon lui, une erreur. « La montée en puissance de l’Etat chinois est la vraie raison des velléités américaines », explique-t-il.
Le président Xi Jinping assure, lui, que « le navire de l’économie chinoise [peut] affronter les vagues ». Mais « il y a de fortes chances que l’économie chinoise se porte en fait beaucoup plus mal », selon une note du cabinet d’expertise SinoInsider, qui doute – comme de nombreux experts – de la fiabilité des statistiques nationales. « Chaque fois que le Parti communiste chinois admet quelque chose, la réalité est généralement bien pire.