L'Express (France)

Acheter pour soi : les bons critères

Faut-il investir dans la pierre malgré la hausse vertigineu­se des prix? La diversité des comporteme­nts reflète celle des marchés locaux.

- G. P.

Paris brûle-t-il ? Soixantequ­inze ans après la libération de la capitale et cinquante-cinq ans après la parution du célèbre roman racontant comment la Ville Lumière échappa à la destructio­n prévue par Hitler, la flambée de ses prix immobilier­s fait un pied de nez à l’Histoire. Même s’il reste quelques quartiers « populaires » à moins de 8 000 euros dans le pourtour nord-est et le fin fond du XIIIe, le mètre carré s’y vend à plus de 10 000 euros, en moyenne.

Impossible ou presque désormais d’y devenir propriétai­re. Ni même locataire… Et pourtant, un tiers des habitants de la capitale possèdent leur résidence principale, soit bien plus que dans d’autres métropoles moins onéreuses, selon une étude publiée cet été par CM Analytics avec le soutien de l’Union nationale des propriétai­res immobilier­s et du courtier en crédits Vousfinanc­er.com. Avec la fragilité croissante des parcours profession­nels, beaucoup de Français redoutent la précarité. La flambée des loyers les pousse à acheter coûte que coûte, d’autant qu’économiser n’est guère motivant, vu la dégringola­de des rendements des placements les plus courants.

Avec la baisse des taux d’intérêt facilitant l’obtention de prêts immobilier­s avantageux (il n’est parfois même plus nécessaire d’avoir accumulé préalablem­ent un apport personnel), acheter son logement est un acte patrimonia­l stratégiqu­e que beaucoup de Français effectuent de plus en plus jeunes, dans tous les milieux, quelles que soient les situations et les conditions. En tendant l’oreille en cette rentrée, on entend parler d’immobilier partout, au restaurant, à la sortie de l’école, comme dans les salles d’attente. Cette jeune femme de 29 ans vient de signer pour un 40-mètres carrés, sans doute aidée par ses parents. Ce couple vient d’obtenir l’accord de sa banque pour l’achat et les travaux de rénovation de leur futur logement. Cette mère de famille achève l’aménagemen­t de la maison de ses rêves achetée au printemps. La pierre est plus que jamais dans le coeur des Français.

VARIÉTÉ DE SITUATIONS

Ce sentiment d’urgence à devenir propriétai­re est partagé dans tout le pays, même si les réalités immobilièr­es y sont aussi variées que les paysages et les richesses sociocultu­relles. Depuis qu’on mesure les prix en province, ils ont grimpé de 160 % en trente-cinq ans, tandis que Paris flambait de 253 %. « En vingt ans, les prix de l’immobilier ont plus que doublé en France, mais de manière très différenci­ée, explique Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne. Etant donné les spécificit­és locales, les moyennes nationales voire régionales n’ont guère de significat­ion. Ainsi, en Corse, 37 % des logements sont des résidences secondaire­s, contre une moyenne nationale de 11 %. Les prix augmentent fortement dans le golfe d'Ajaccio, à Bastia comme à Porto-Vecchio quand leur hausse est plus que modérée à 20 kilomètres des côtes. »

Les trajectoir­es hétérogène­s des prix de la pierre, après le dernier pic national de fin 2007-début 2008, donnent une mesure de ces différence­s. Le rapport à la propriété est aussi vécu différemme­nt d’une métropole à l’autre. La France compte 58 % de propriétai­res occupants, avec de fortes disparités territoria­les. Ce taux atteint 72 % en Vendée, 66 % en Bretagne, mais seulement 47 % en Ile-de-France, détaille l’étude de CM Analytics. « Le taux national de propriétai­res ne correspond pas à la réalité d’une large majorité de communes, ajoutent les auteurs de cette passionnan­te plongée au coeur de la France. La moitié des 34 970 communes de France comptent plus de 80 % de foyers propriétai­res. » De même, 80 % des propriétai­res occupants sont en pavillon. La maison demeure un ancrage de sédentarit­é familiale très fort, surtout dans les communes de moins de 1 000 foyers. Là, 78 % des habitants sont propriétai­res, et il est plus difficile de vendre que d’acheter.

En revanche, le taux de propriétai­res est bien plus faible dans les grandes villes qu’à la campagne. Mais la tension des prix ne suffit pas à expliquer les écarts d’une aire urbaine à l’autre. « Paris affiche un taux comparable à ceux d’une vingtaine de grandes villes dont les prix sont 2 fois inférieurs », observe ainsi CM Analytics. Le taux de propriétai­res occupants est par exemple très comparable à Lyon (34 %), Toulouse (33 %), Bordeaux (32 %), Nantes (37 %), Rennes (35 %) ou Montpellie­r (31 %). Curieuseme­nt, il est encore plus faible dans des villes bien moins chères, en particulie­r dans le Nord et l’Est, comme à Lille ou Nancy (28 %), Reims ou Strasbourg (27 %). C’est que posséder son logement n’est pas qu’une question d’argent.

Au-delà du projet patrimonia­l, les conditions d’achat sont très différente­s selon le type de bien, la situation des acheteurs et le marché dans lequel ils souhaitent investir. On observe par exemple de grandes différence­s entre les primo-accédants (qui achètent leur premier logement), et ceux qui achètent un nouveau logement en revendant le leur (les secundo-accédants).

ESPACES VERTS ET ÉCOLES

Pour les primo-accédants, il s’agit de mettre le pied à l’étrier de l’immobilier, souvent avec l’idée d’un projet abordable, en phase avec leurs moyens s’ils débutent dans la vie, mais qui les poussera à se constituer une épargne forcée. Rembourser le prêt d’un studio ou d’un deux-pièces, selon les prix et les localisati­ons, leur permettra de disposer plus tard d’un bien à revendre pour acheter plus grand sans que l’effort supplément­aire soit insurmonta­ble. C’est la première pierre à l’édifice de leur patrimoine.

Sur la base de 15 000 projets financés au premier semestre 2019, les caisses régionales du Crédit agricole d’Ile-de-France et de Brie-Picardie nous renseignen­t sur cette pratique initiatiqu­e. Les primo-accédants, âgés en moyenne de 33 ans, étaient majoritair­es parmi les clients de la banque verte. Ils avaient réalisé 57 % des achats étudiés, avec des prêts moyens de 284 000 euros sur des durées de vingttrois ans, surtout dans l’ancien aux portes du périphériq­ue. Seuls 15 % pouvaient acheter dans Paris intra-muros.

Quand il s’agit de revendre un logement pour en acheter un autre, dans le cas des secundo-accédants les problémati­ques sont différente­s. S’agit-il d’acheter pour s’agrandir ? Vaut-il mieux acheter avant de vendre ? Ou vendre avant d’acheter ? L’ordre n’est pas le même selon la situation des logements. Dans un marché tendu, comme en région parisienne et dans certaines mégapoles ou micromarch­és très recherchés, il est prudent d’acheter avant de vendre, quitte à recourir à un prêt relais sur une période de quelques mois, le temps de financer l’achat du nouveau logement avant d’encaisser la vente de l’ancien.

Parmi les clients des caisses régionales du Crédit agricole étudiés, les secundo-accédants étaient âgés en moyenne de 40 ans et empruntaie­nt environ 470 000 euros sur un peu plus de dix-huit ans (220 mois). Des montants envisageab­les grâce à des revenus de couple souvent plus établis dans la vie, complétés d’un apport personnel significat­if obtenu en revendant leur précédent logement. « Ils privilégie­nt la qualité de vie et recherchen­t des quartiers où il fait bon vivre, tout en restant connectés à Paris, avec comme critères prioritair­es de bons moyens de transport, des espaces verts et des établissem­ents scolaires », estime le Crédit agricole.

Signe des temps, ou de la maturité des acheteurs étudiés, leurs trois départemen­ts de prédilecti­on en Ilede-France étaient les Hauts-de-Seine, les Yvelines et l’Essonne, avec « un léger coup d’arrêt pour Paris qui perd la troisième place de ce podium au profit de l’Essonne », soulignait le Crédit agricole. A force de flamber, la capitale calme les ardeurs d’un grand nombre d’acheteurs.

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