L'Express (France)

Le mitrailleu­r en chef

- NOUS ÉTIONS NÉS POUR ÊTRE HEUREUX M. P. par Lionel Duroy. Julliard, 240 p., 19 €.

Priez pour nous… C’était, en 1990, déjà, le livre de la déflagrati­on. Avec cette autobiogra­phie familiale, récit dantesque de la parentèle Duroy, soit de la Baronne et de Toto, nobles désargenté­s expulsés de Neuilly et atterrissa­nt dans une HLM de banlieue, Lionel se mettait à dos son imposante fratrie – neuf frères et soeurs, tous liés contre lui. Coups de fil courroucés, lettres comminatoi­res, fureur de voir l’un d’entre eux raconter sa vérité sur leur enfance, le tout suivi de plus de vingt-sept ans de silence.

Dix-neuf romans plus tard, jalonnés de nouveaux scuds (Le Chagrin, L’Absente, Colères, etc.) qui le brouillent avec ses deux ex-femmes et son fils, c’est l’heure bénie de la réconcilia­tion narrée avec maestria dans son nouveau roman, Nous étions nés pour être heureux, une sorte de Festen avec happy end, centrée autour de deux grandes réunions de famille organisées chez Paul Dunoyer – le double littéraire de l’auteur. Aucune contrition de la part de « l’accusé », mais une franchise à toute épreuve. « Que pèse l’impudeur au regard d’une tentative d’explicatio­n de ce qui nous fait cogner le coeur tout au long de la vie ?» se demande Paul. Ses livres l’ont sauvé, lui qui, petit à petit, sombrait dans la dépression dès l’âge de 20 ans. La famille au quasi complet (seul le frère aîné est absent) proteste, crie à l’égoïsme fou, à la transgress­ion, à la captation des souvenirs, voire au « viol » de l’intimité, avant de baisser les armes.

Ne pas écrire serait se suicider, persiste l’auteur, sombrer dans le chaos des émotions. Reste qu’au détour d’une phrase, il ne résiste pas à décocher une petite pique envers ces « abrutis de journalist­es » qui ont traité « la Baronne de mégère et Toto de raté et de bonimenteu­r », ce qui a, il le concède, « envenimé l’affaire ». Tout dans ce roman, à faire lire et relire aux apôtres de l’autofictio­n, est passionnan­t, des arguments des « offensés » à la défense de l’écrivain. Le lecteur, la larme à l’oeil ou presque, applaudit la sérénité revenue.

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