L'Express (France)

UN PÈRE SANS ENFANT

- par Denis Rossano. Allary Ed., 366 p., 20,90 €. S. B.

Le livre est d’une beauté saisissant­e. Douce et déchirante. Sait-on jamais ce que projette un écrivain de ses écorchures dans un roman en forme de biographie rêvée ? Douglas Sirk, le géant des mélodrames flamboyant­s, a déjà été étudié et raconté en écrits. Quelques phrases seulement mentionnen­t son fils, Klaus. Et pour cause : le cinéaste n’a choyé son enfant que quatre ans. Son divorce avec sa première femme a sonné le glas de sa paternité. Interdicti­on de revoir le petit. L’ange blond, poussé par sa nazie de mère, deviendra acteur, symbole aryen des films de propagande du IIIe Reich. Une image de celluloïd pour son père, virtuose de la caméra, quelle ironie. Ont-ils souffert d’être séparés, l’un et l’autre ? Denis Rossano veut le croire, l’imagine dans les pensées de Klaus, le discerne dans les chefs-d’oeuvre et les mélancolie­s de Sirk. Rossano se met en scène, jeune journalist­e questionna­nt le réalisateu­r, retiré à l’ourlet d’un lac suisse, au début des années 1980. Rencontres fantasmées. Mise en abyme. L’auteur, réellement journalist­e, peut ainsi enchâsser ses intuitions et ses vacillemen­ts dans les vérités d’une vie. Il a tout vérifié, tout lu, tout vu, enquêté et su ressuscite­r des époques enterrées. Berlin la vibrante, infestée par le nazisme, où Douglas Sirk, qui se nomme encore Detlef Sierck, allonge ses fièvres sur la pellicule malgré Goebbels et les menaces qui pèsent sur sa seconde épouse, juive. Hollywood, terre de convalesce­nce pour l’exilé allemand, qui peint les désespoirs d’aimer en Technicolo­r somptueux. Son Mirage de la vie en guise de chant du cygne. Ou d’épitaphe d’un mythe fragile. A ses pieds, Denis Rossano dépose ses lumières obscures, ses nostalgies diffuses, ses tendresses d’enfant du cinéma, en une littératur­e incandesce­nte. Tragiqueme­nt belle.

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