Souvenirs de maison close
Au début, on pense à une nouvelle version de La Vie sexuelle de Catherine M. C’est absolument réjouissant et libre. D’entrée, Emma Becker avoue un « un désir dirigé vers la totalité de l’espèce masculine ». Elle raconte notamment cette magnifique aventure qui consiste à offrir une escort-girl à son fiancé pour son anniversaire. Scène hilarante d’un plan à trois pathétique. Une rupture plus tard, la romancière décide de tenter l’expérience de la prostitution dans un bordel allemand. Pour écrire ! Oui, c’est un projet littéraire, ne cesse-t-elle de répéter. L’écriture demeure à jamais le meilleur alibi pour vivre les errances de nos désirs. Emma devient alors Justine. On enchaîne plusieurs portraits de femmes, des tranches de vie ; il y a une bienveillance qui unit ces passagères des corps à vendre. On parle des clients aussi. Comme celui qui vient prendre des cours de cunnilingus.
Tout paraît ouaté dans cet univers au baroque un peu triste. Expérience littéraire peut-être, mais il n’y a pas d’économie de la violence. La réalité est aussi celle-là : Justine se retrouve avec un client complètement fou et violent, qui l’oblige à prendre de la cocaïne. Voilà un roman qui mérite le prix littéraire de la mise en danger de l’auteur (on dirait le Renaudot). Pourtant, elle dit avoir été heureuse dans ce bordel, et l’avoue même : « J’ai aimé la couleur de ma chair dans la lumière rose, les jeux d’ombre sur mon visage, la sensation à l’envi d’inventer une nouvelle Emma… »
A vrai dire, il se dégage quelque chose d’assez hypnotique de ce livre, par ailleurs très bien écrit, on éprouve l’impression d’être guidé dans le dédale des parfums et des couloirs tamisés. La Maison est un objet rare, aussi atypique que doit l’être la personnalité de son auteure.