UN SINGE À PARIS
En 1917, Franz Kafka rompt avec sa fiancée et apprend qu’il est atteint de tuberculose – année noire. C’est alors, selon toute vraisemblance, qu’il met la dernière main à une nouvelle « anthropologique », Rapport pour une académie. Un gorille, blessé et capturé dans la jungle, développe d’étonnantes capacités qui le rapprochent des humains. Il maîtrise la station debout puis la parole, apprend à s’habiller et à se comporter en société. Ces progrès intriguent l’Académie des sciences, qui l’invite à raconter son destin. L’animal dépasse le simple récit et livre une réflexion sur la nature humaine : à partir de quel degré d’évolution est-on homme ? Y a-t-il une frontière nette entre humanité et animalité ? La sauvagerie est-elle moins présente dans les cités que dans la forêt ?
Le public français découvre ce texte rare en 1966, quand Michel Simon l’enregistre sur un disque, à côté d’une saynète de… Courteline ! En 2009, le scénariste et mime franco-chilien Alejandro Jodorowsky réveille la force philosophique du conte et le confie à son fils Brontis (photo), pour dix ans de succès. Le voici revenu à Paris. Quand il se maquille (pendant une heure et demie), l’artiste abaisse ses sourcils, élargit ses mâchoires et agrandit ses narines, jouant sur les ombres et les fards – prodigieuse métamorphose. En scène, la démarche, la position des pouces repliés sur les paumes et les épaules proéminentes achèvent l’apparition, tour à tour effrayante et émouvante, de ce gorille qui se voulait homme. La performance époustoufle ; la réflexion trouble.
LE GORILLE