L'Express (France)

Muriel Beyer a fondé les éditions de l’Observatoi­re il y a tout juste trois ans et son tableau de chasse est impression­nant : le pape François, Nicolas Sarkozy, Michel Onfray, Michel Platini…

Fondatrice des Editions de l’Observatoi­re, Muriel Beyer publie avec succès le pape François, Nicolas Sarkozy et Michel Platini. Quitte à débaucher ses auteurs de chez les concurrent­s, qui dénoncent une politique du carnet de chèques.

- PAR JÉRÔME DUPUIS

Il est 13 heures, Mme Beyer traverse le boulevard du Montparnas­se. Une trentaine de mètres séparent sa maison d’édition de la Closerie des Lilas, la célèbre brasserie qui a vu défiler Apollinair­e, Hemingway et Picasso. Là, l’élégante sexagénair­e s’installe sur « sa » banquette, à gauche sous la verrière, pour un déjeuner avec l’un de ses auteurs. Un jour Luc Ferry, le lendemain François Bayrou, le troisième Natacha Polony. Et, quand arrive son rituel fromage blanc au miel, il est souvent temps de sortir les contrats. Et, quels contrats ! Muriel Beyer a fondé les Editions de l’Observatoi­re il y a tout juste trois ans et son tableau de chasse est impression­nant : le pape François, Nicolas Sarkozy (avec 200 000 exemplaire­s vendus, Passions est le coup éditorial de l’année), Michel Onfray, Jean-Luc Mélenchon, Michel Serres et, cette semaine, les Mémoires de l’icône Michel Platini…

Une politique tous azimuts qui l’amène à braconner régulièrem­ent sur les terres de concurrent­s parfois

centenaire­s (Grasset, Plon, Albin Michel…), furieux de voir leurs auteurs céder aux chants de la sirène de l’Observatoi­re. « Muriel n’a pas seulement un bon carnet d’adresses, elle a aussi un gros carnet de chèques », grommelle l’un d’eux. Réaction de l’intéressée, connue pour son tempéramen­t de pétroleuse : « J’agace ? Tant mieux ! »

ELLE ARRACHE LES DROITS MONDIAUX DU PAPE

Voilà quelques décennies que Muriel Beyer navigue dans les eaux de l’édition parisienne. Elle travaillai­t pour le Parc des exposition­s de Marseille, dont elle a gardé une pointe d’accent, quand Jean Dutourd l’a recommandé­e à Flammarion. Elle passe ensuite chez Plon, où elle réussit son premier gros coup, la biographie d’Henri IV par François Bayrou. Comme un portechanc­e, le président du MoDem sera le tout premier auteur publié par l’Observatoi­re.

Car, entre-temps, l’éditrice a fait la connaissan­ce de Denis Kessler, membre, comme elle, du Siècle, ce club ultrasélec­t qui se réunit une fois par mois au Cercle Interallié. Il a fait fortune avec la Scor, le quatrième groupe de réassuranc­e mondial, qui possède déjà Belin et les PUF, deux éditeurs universita­ires réunis sous la bannière Humensis. « Il voulait lancer une maison généralist­e, je lui ai monté un projet et il a dit banco ! » raconte Muriel Beyer. Avant de franchir le pas, l’éditrice passe tout de même trois coups de fil à ses plus fidèles auteurs : « Si je crée une nouvelle maison, vous me suivez ? » Alain Duhamel : « Donnez-moi la nouvelle adresse. » Luc Ferry : « Bien sûr, Muriel. » Nicolas Sarkozy : « Oui, mais je ne sais pas quand » (voir son témoignage page suivante).

Un petit miracle va lancer la maison. A un vernissage, Muriel Beyer tombe sur le sociologue Dominique Wolton. « Je viens de réaliser 14 entretiens avec le pape François », lui confie-t-il. Deux jours après, le manuscrit de Politique et société est sur le bureau de l’éditrice, qui le « détourne » des éditions du Cherche midi, auquel il était plus ou moins promis. Un contrat est signé avec le Vatican. Divine surprise : l’Observatoi­re détient les droits mondiaux du livre. De gros chèques de l’étranger, en particulie­r de l’Italie, viennent s’ajouter aux ventes correctes de l’ouvrage en France (45 000 exemplaire­s).

Très vite, la rumeur court Saint-Germaindes-Prés : Muriel Beyer est prête à signer à prix d’or des auteurs célèbres pour lancer sa maison. « Les habituels “chasseurs de primes” se sont précipités », s’amuse un concurrent. Visés : Raphaël Enthoven, Michel Onfray, Didier van Cauwelaert… « J’ai proposé à Onfray 50 000 euros d’avance, comme le font ses autres éditeurs », se défend Muriel Beyer. Le philosophe d’Argentan aurait en fait touché plus. L’éditrice parvient aussi à attirer Frédéric Beigbeder, pour un recueil d’articles. Cette fois-ci, l’à-valoir tourne autour de 80 000 euros, une belle somme, que les 15 000 exemplaire­s vendus de La frivolité est une affaire sérieuse ne couvriront pas. Belle joueuse, Muriel Beyer reconnaît aussi que l’avance astronomiq­ue versée à Alexandre Jardin pour Le Roman vrai d’Alexandre – 200 000 euros ! – fut un pari raté. « Pour installer une maison d’édition, il faut constituer un catalogue prestigieu­x », justifie-t-elle, légèrement agacée, à son tour, par la petite musique autour de son carnet de chèques. Voilà pourquoi elle a publié la solide biographie de Giscard d’Estaing signée Eric Roussel, dotée d’un à-valoir supérieur à 50 000 euros. Cette « politique de prestige » porte souvent ses fruits : le Journal d’un observateu­r (clin d’oeil !) d’Alain Duhamel s’écoule à 55 000 exemplaire­s, La Comédie (in) humaine, du tandem Bouzou-Funès à 40 000 et De la vertu de Jean-Luc Mélenchon à 35 000.

Mais ces débauchage­s finissent par exaspérer les concurrent­s. Olivier Nora, le patron de Grasset, a l’impression de se faire dépouiller de ses auteurs. Après Beigbeder et Jardin,

Elle a versé une avance de 80 000 euros à Frédéric Beigbeder

c’est le très bankable Olivier Guez, Prix Renaudot pour La Disparitio­n de Josef Mengele, qui vient de signer avec l’Observatoi­re pour un essai consacré au football prévu en mai 2020. Un petit déjeuner d’explicatio­n courtoisem­ent musclé a récemment réuni l’éditeur de la rue des Saints-Pères et Muriel Beyer.

L’éditrice est aussi une communican­te redoutable. Fin juillet, elle annonce triomphale­ment que Passions, de Nicolas Sarkozy, s’est déjà vendu à 213 000 exemplaire­s. En réalité, on en était à 140 000. Elle a sciemment confondu le chiffre du tirage et celui des ventes réelles. Un « truc » vieux comme l’édition...

La vérité, c’est aussi que l’infatigabl­e éditrice déploie une énergie de tous les instants et saisit toutes les opportunit­és que lui offre son réseau étoffé. Voilà quelques mois, au détour d’un déjeuner avec le lobbyiste Paul Boury, elle apprend que Michel Platini souhaite publier un livre. Elle ne connaît pas grand-chose au ballon rond, mais fonce en Suisse rencontrer l’ancien numéro 10 des Bleus. Quelques semaines plus tard, l’ex-patron de l’UEFA est à la Closerie pour signer son contrat avec l’Observatoi­re. Quand le serveur de la brasserie aperçoit « Platoche », il en laisse tomber son plateau d’émotion. « Là, je me suis dit que je tenais peut-être un best-seller », sourit Muriel Beyer…

ET MAINTENANT LES PRIX ?

Son appétit est insatiable. Nommée directrice générale adjointe d’Humensis, elle lance en mars dernier une collection de livres d’Histoire, Passés composés. Cette fois-ci, c’est Perrin, le leader du secteur, qui n’a pas apprécié du tout que l’un de ses éditeurs, Nicolas Gras-Payen, soit débauché et entraîne avec lui plusieurs auteurs, dont Jean Lopez et son Barbarossa, 1941. La guerre absolue, le best-seller historique de cet automne. Humensis a également racheté l’an dernier Les Equateurs, la maison d’édition fondée par Olivier Frébourg, qui publie Sylvain Tesson et Jean-Paul Kauffmann. Autant d’investisse­ments qui empêchent le groupe d’être à l’équilibre financier et ont obligé l’actionnair­e à procéder à une augmentati­on de capital le 28 juin dernier.

On s’en doute, Muriel Beyer s’est aussi attaquée au domaine roi de la librairie : le roman. Quelques-uns de ses auteurs se sont déjà fait remarquer, tels Odile d’Oultremont (prix des Lilas 2018) ou Abel Quentin, dont le Soeur a figuré sur la première liste du Goncourt cette année. Hasard ? L’éditrice s’est récemment adjoint les services de Pierre Gestède, historique attaché de presse de Gallimard bien connu pour « murmurer à l’oreille des jurés ». Lorsqu’il l’a appris, Antoine Gallimard en a été fou de rage. Encore un. Il semblerait que Mme Beyer n’ait pas fini d’agacer.

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 ??  ?? Stars Muriel Beyer, qui a bâti un catalogue prestigieu­x, est très proche de ses auteurs. Ici, avec Jacques Weber et Jean-Luc Mélenchon, à Marseille en 2017.
Stars Muriel Beyer, qui a bâti un catalogue prestigieu­x, est très proche de ses auteurs. Ici, avec Jacques Weber et Jean-Luc Mélenchon, à Marseille en 2017.

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