L'Express (France)

Christian Makarian, Nicolas Bouzou

- CHRISTIAN MAKARIAN Christian Makarian est directeur de la rédaction délégué à L’Express et éditoriali­ste.

Fallait-il le dire ainsi, et à ce moment précis ? Dans la très substantie­lle interview qu’il a accordée à l’hebdomadai­re britanniqu­e The Economist, Emmanuel Macron n’a fait qu’exprimer un point de vue aussi fondé qu’argumenté dont on n’a retenu qu’une formule choc : « Ce qu’on est en train de vivre, c’est pour moi la mort cérébrale de l’Otan. »

Si l’expression a pu choquer, son point de départ repose sur le constat très juste d’une Europe « qui a perdu le fil de son histoire […] en se pensant comme un marché ». Dès le plan Marshall, elle a été construite, en effet, comme le junior partner des Américains : or la bienveilla­nce des Etats-Unis et l’hégémonie des valeurs occidental­es avaient pour corollaire­s l’Otan et le soutien à l’Union européenne. C’est aussi au moyen de cette organisati­on que l’Amérique détient, depuis 1949, un instrument d’influence inégalable, un véritable levier pour garder le contrôle effectif de l’Europe et la maintenir dans son orbite.

A l’évidence, tout cet équilibre est révolu. Ce n’est même pas à Donald Trump – il exige que chaque pays européen consacre 2 % de son PIB à l’effort de défense – que l’on peut faire porter la responsabi­lité de cette remise en cause : c’est Barack Obama qui en est à l’origine, en décidant de réorienter la politique extérieure américaine selon la théorie du « pivot » asiatique, donc au détriment du Vieux Continent. Trump n’a fait qu’ajouter sa propre touche en combattant de front l’UE et en abandonnan­t ses alliés sans les prévenir, comme il a décidé le retrait des forces américaine­s basées en Syrie en soutien aux Kurdes. Pour Macron, la structure marche encore « pour commander des opérations », mais non « sur le plan stratégiqu­e et politique ».

Bilan difficilem­ent réfutable. Sauf que l’alternativ­e à l’Otan n’est pas entre les mains de la France ; elle repose fondamenta­lement sur l’approfondi­ssement du lien franco-allemand, seul pôle susceptibl­e d’entraîner les autres partenaire­s. Même si les accords militaires franco-britanniqu­es de Lancaster House de 2010 seront maintenus indépendam­ment du Brexit, Paris a besoin d’une entente fortement renforcée avec Berlin. On en est loin. Sitôt que les déclaratio­ns de Macron ont été diffusées, Angela Merkel a éprouvé le besoin de prendre ses distances en termes très nets : « Je ne pense pas qu’un tel jugement intempesti­f soit nécessaire, même si nous avons des problèmes, même si nous devons nous ressaisir. L’Otan reste vitale pour notre sécurité. » Les anicroches se multiplien­t ; plusieurs signes dans la position allemande démontrent qu’il n’y a pas de volonté réelle d’avancer de conserve.

Malgré l’annonce de la constructi­on du char et de l’avion du futur, en dépit du traité bilatéral d’Aix-la-Chapelle (janvier 2019), le gouverneme­nt Merkel a pris, en septembre dernier, la décision de donner satisfacti­on aux Américains en augmentant faiblement la contributi­on allemande au budget de fonctionne­ment de l’Otan. Un geste très peu courtois à l’endroit de Paris, à mettre une nouvelle fois au compte d’Annette Kramp-Karrenbaue­r, présidente de la CDU et ministre de la Défense, dont la posture politique est peu respectueu­se du partenaire français.

Sur la nécessité du lien franco-allemand, il revient à Edouard Husson d’avoir bien posé les termes de la rivalité dans un ouvrage limpide et remarquabl­ement documenté*. Voici ce qu’il écrit : « Lorsque Barack Obama a quitté la Maison-Blanche, en janvier 2017, il a, par détestatio­n de Donald Trump, transmis le “leadership du monde libre” à la chancelièr­e. Il n’a pas fallu attendre dix mois pour que l’autorité de cette dernière soit contestée, par certains voisins mais aussi à l’intérieur de son propre pays. »

* Edouard Husson, Paris-Berlin. La survie de l’Europe (Gallimard).

Paris a besoin d’une entente renforcée avec Berlin. On en est loin

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