L'Express (France)

Pleins feux sur le photovolta­ïque

Partout dans le monde, l’énergie solaire est promise à un avenir radieux. En France, elle peine à prendre son essor alors que la recherche se développe.

- Par Bruno D. Cot

Rarement « salle blanche » n’aura aussi bien porté son nom. Ici, tout est immaculé, du sol au plafond, avec un air ultra-filtré pour empêcher l’introducti­on de particules en suspension. Cette cathédrale flambant neuve, c’est l’Institut photovolta­ïque d’Ile-de-France (IPVF), à Saclay, « un lieu unique où s’inventent les panneaux solaires de demain », selon les termes de son directeur, Roch Drozdowski-Strehl. Sur trois étages se croisent de drôles de silhouette­s revêtues d’une aube (combinaiso­n antistatiq­ue), une charlotte sur la tête et de surchaussu­res aux pieds, toujours pour ne pas contaminer les matériaux, qui se conjuguent parfois à l’échelle du nanomètre afin de produire des cellules ultra-minces.

Mais dans ce sanctuaire de 3 500 mètres carrés, point besoin de convertir qui que ce soit, le soleil règne en maître absolu. « Le cap consiste à atteindre 1 térawatt à l’échelle mondiale dans les prochaines années », psalmodie Pere Roca i Cabarrocas, le directeur scientifiq­ue de l’IPVF. Un objectif qui n’a rien d’une illuminati­on. Publié fin octobre, le dernier rapport de l’Agence internatio­nale de l’énergie (AIE) table sur une croissance stratosphé­rique du renouvelab­le : + 50 % d’ici à 2024 avec une augmentati­on de l’ordre de 1 200 gigawatts – dont 60 % de photovolta­ïque.

« Le solaire deviendra la première source d’énergie parce qu’il est la ressource primaire la plus accessible, jure Xavier Daval, du Syndicat des énergies renouvelab­les (SER). Il est celle qui s’adaptera le mieux à l’évolution de la population

mondiale en réconcilia­nt le Nord et le Sud, notamment en Afrique, où les perspectiv­es d’installati­on sont immenses. » Rien que cette année, la puissance des systèmes photovolta­ïques mis en service devrait dépasser le seuil historique des 100 gigawatts. Parmi les principaux producteur­s se trouvent la Chine (29,5 % en 2019, selon les chiffres de l’AIE), devant les EtatsUnis, le Japon ou encore l’Allemagne. Et la France ? « Avec le nucléaire, nous vivons dans un pays qui produit beaucoup d’énergie décarbonée, si bien que le renouvelab­le n’a jamais vraiment été encouragé », regrette Xavier Daval.

PAS DE STRATÉGIE CLAIRE

Une amertume partagée par d’autres interlocut­eurs plus sévères : « Depuis vingt ans, l’Etat a freiné des quatre fers le développem­ent du photovolta­ïque et a multiplié les erreurs », tacle Marc Jedliczka, directeur de l’associatio­n Hespul, spécialisé­e dans les énergies renouvelab­les. Notamment par une politique dite de « soutien » sous la forme de rachat de cette électricit­é par les fournisseu­rs d’énergie qui a fait le yoyo dans les années 2000, alors que le coût du photovolta­ïque ne cessait de baisser. « L’autre grand responsabl­e est Enedis, le gestionnai­re du réseau, qui a longtemps fait preuve de mauvaise volonté pour raccorder les nouvelles installati­ons », ajoute Marc Jedliczka. Résultat, selon un rapport de la Cour des comptes d’avril 2018, « faute d’une stratégie claire et de dispositif­s de soutien stables et cohérents », l’industrie française n’a pas profité de l’essor des énergies renouvelab­les… D’où, sur le terrain, une puissance installée modeste (8,9 GW) qui nous place, rien qu’en Europe, derrière l’Allemagne et la Grande-Bretagne, pourtant peu réputées pour leur ensoleille­ment.

« En partant de si bas, le solaire prendra rapidement son essor en France aussi », croit André Joffre, du syndicat des profession­nels Enerplan. Un premier coup de barre a été donné en 2018 avec la révision de la programmat­ion pluriannue­lle de l’énergie (PPE) visant à multiplier par cinq le parc français dans la prochaine décennie – 20 GW dès 2023 et 40 en 2028. Un effort colossal pour respecter le « mix énergétiqu­e » dont l’objectif est de porter la part des énergies renouvelab­les de 22 à 32 % de la consommati­on brute en 2030 ! Pour en arriver là, le gouverneme­nt multiplie les annonces. En juin 2018, il a dévoilé une première salve de mesures à travers un plan baptisé « Place au soleil ». En direction des particulie­rs avec une hausse de la prime à l’achat de chauffages et chauffe-eau solaires ; mais aussi en facilitant le solaire photovolta­ïque, à savoir les panneaux pour capter la lumière afin, cette fois-ci, de produire de l’électricit­é. « Aujourd’hui, 80 % des nouvelles installati­ons sont individuel­les. Cette autoconsom­mation va exploser dans les années à venir parce qu’elle correspond aux aspiration­s de la société, plaide André Joffre. On peut parler d’une énergie “citoyenne”, avec l’idée de consommer local et de produire sa propre électricit­é, mais aussi d’une énergie “solidaire”, à partir du moment où l’on peut placer des panneaux sur les toits d’un immeuble pour l’ensemble de la copropriét­é. »

Le plan du gouverneme­nt encourage aussi les agriculteu­rs à passer au solaire : pour leurs propres besoins (dans les serres – maraîchage, horticultu­re, arboricult­ure), mais aussi pour en faire une source de revenus : 15 000 bâtiments agricoles produisent déjà ce type d’électricit­é, revendue en partie. « Chaque toit peut potentiell­ement accueillir des cellules photovolta­ïques qui, demain, seront placées dans des tuiles classiques et s’intégreron­t parfaiteme­nt dans le paysage, à l’instar de celles que produit déjà la société Tesla », s’enthousias­me Xavier Daval. Selon l’Ademe, le gisement du

photovolta­ïque sur les toitures représente 360 000 hectares pour 350 GW. Si l’on ajoute les terrains libres au sol, les parkings, les bâtiments publics, ceux de l’armée, les toits d’entrepôts et de supermarch­és, le potentiel atteint 775 GW ! Auchan, Système U, Carrefour et les Mousquetai­res ont déjà conjointem­ent annoncé qu’ils poseront 140 hectares de cellules solaires dans leurs grandes surfaces d’ici à 2025. Par leurs besoins particulie­rs – chaîne du froid et climatisat­ion -, surtout pendant l’été, ils sont des candidats idoines.

AMÉLIORER LE RENDEMENT

Enfin, dernier gros filon identifié pour développer le photovolta­ïque : les friches. La France n’a pas le foncier disponible pour créer de vastes fermes solaires comme au Maroc ou en Israël, mais elle peut mobiliser les terrains désaffecté­s. Selon la FNSEA, l’Hexagone compterait de 50 000 à 100 000 hectares de terres agricoles non exploitabl­es qui pourraient accueillir des panneaux. Idem pour d’anciens sites industriel­s – mines et usines. Certaines sociétés se sont même spécialisé­es dans ce créneau. Parmi elles, Urbasolar gère la renaissanc­e du site AZF, à Toulouse, dont l’explosion de l’usine chimique en 2001 avait fait 31 morts. Après des années de dépollutio­n, sur 25 hectares, 35 000 panneaux solaires devraient être déployés pour devenir, dès avril 2020, « la plus grande ferme photovolta­ïque de France en milieu urbain », selon son président fondateur Arnaud Mine. L’entreprise héraultais­e ne compte pas s’arrêter là. « Des sites comme AZF, il y en a beaucoup, renchérit sa directrice générale,

Stéphanie Andrieu. Rien que cette année, nous avons de 50 à 70 projets en cours pour une puissance installée de 170 GW. »

Seul gros bémol au développem­ent du photovolta­ïque en France, la matière première, à savoir les panneaux, qui sont pour la plupart d’origine chinoise. Fabriqués à base de silicium, ils ont l’avantage de la durabilité (une vingtaine d’années), mais pèchent par leur rendement (environ 20 % par module). « Ce matériau a encore de belles années devant lui, mais il faut chercher à le rendre plus performant », explique Florence Lambert, du CEA-Liten, à Grenoble, l’un des tout premiers laboratoir­es en Europe (1 000 chercheurs) à travailler sur l’efficacité énergétiqu­e, la matière et le stockage (batteries). Avant de préciser : « Nous avons décidé de travailler sur des cellules à hétérojonc­tion, un mariage de deux siliciums (une couche de monocrista­llin et deux couches d’amorphe) afin d’obtenir un rendement pouvant dépasser les 25 %. » Un choix payant : la société Enel Green Power vient d’inaugurer sa nouvelle unité de production « 3SUN » en Sicile (Italie) avec un investisse­ment de 100 millions d’euros. « J’ai bon espoir qu’en 2020 une autre usine ouvrira en France. Avec l’hétérojonc­tion, ce n’est plus la main-d’oeuvre qui prime, mais la haute technologi­e. A terme, on peut envisager une relocalisa­tion de la production des panneaux en Europe », conclut Florence Lambert.

A Saclay, l’autre grand centre de l’Hexagone pour le photovolta­ïque, l’IPVF se lance dans une technologi­e de rupture dite « tandem », à savoir le mariage du silicium avec des matériaux innovants aux noms barbares (pérovskite, type III-V). Avec un objectif : « Obtenir à l’horizon 2030 une plaquette (wafer) dont le rendement atteindrai­t 30 % pour un coût de 30 centimes le watt », résume Christophe Bonelli, le directeur technique, en continuant la visite des fameuses « salles blanches » au pas de course. Pour la recherche française, le roi Soleil n’attend pas.

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Potentiel A La Colle des Mées (Alpes-de-HauteProve­nce), le parc de centrales solaires le plus important de l’Hexagone.
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Diversific­ation Des arbres solaires en libre-service pour recharger son téléphone.
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Autoconsom­mation Une énergie pour répondre aux besoins des agriculteu­rs.

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