L'Express (France)

Ces inquiétant­s Pieds nickelés de l’ultradroit­e

- Par Boris Thiolay. Illustrati­ons : Erwann Terrier

Obsédés par ce qu’ils nomment le « péril islamique », d’anciens militaires, policiers ou gendarmes se préparaien­t à la guerre civile. Révélation­s sur le groupe clandestin Action des forces opérationn­elles (AFO), dont 15 membres sont mis en examen pour « terrorisme ». Acte I Où, lors d’un déjeuner estival, naît le projet d’entrer en clandestin­ité

Ciel azur, soleil radieux. Le temps est idéal, ce mercredi 2 août 2017, pour flâner dans les ruelles de Barbizon, le fameux « village des peintres » en lisière de la forêt de Fontainebl­eau (Seine-et-Marne). Au coeur de l’été, des grappes de touristes découvrent les lieux bucoliques qui accueillir­ent, à partir de 1850, les pionniers de l’impression­nisme, puis les maîtres de ce courant pictural : Claude Monet, Auguste Renoir, Alfred Sisley… L’auberge Ganne, en particulie­r, où les artistes désargenté­s venaient se restaurer et qui abrite aujourd’hui le musée de Barbizon.

Ce jour d’août 2017, à quelques pas de là, une vingtaine de convives s’apprêtent à déjeuner dans l’arrière-salle d’un restaurant cossu. L’un d’entre eux, Marc* G., 51 ans, a soigneusem­ent dressé le plan de table. Les trois principaux orateurs sont assis côte à côte, faisant face aux autres invités. Cette assemblée n’est pas venue disserter sur l’art de la lumière chez les impression­nistes. Les personnes présentes, âgées de 31 à 81 ans, sont réunies pour fonder un mouvement paramilita­ire clandestin : Action des forces opérationn­elles (AFO). Un groupuscul­e, clairement situé dans la mouvance de l’extrême droite radicale, qui prétend lutter contre le « péril islamique ». Ses membres sont persuadés d’être victimes du « grand remplaceme­nt », cette théorie complotist­e selon laquelle les élites au pouvoir veulent substituer des population­s venues d’Afrique et de l’Orient aux peuples européens. En cas de nouvel attentat du type des attaques du 13 novembre 2015, ils veulent exercer des représaill­es à grande échelle. En clair, les fondateurs d’AFO veulent se préparer à la « guerre civile », inéluctabl­e selon eux.

Au sein de la mosaïque de l’ultradroit­e, les conjurés de Barbizon présentent un profil particulie­r. On est loin des skinheads, arborant tenue paramilita­ire et tatouages inquiétant­s. Rien à voir non plus avec la mouvance « identitair­e », qui associe provocatio­ns médiatique­s et discours virulents. Parmi les 19 invités rassemblés autour de la table se trouvent une majorité de quinquagén­aires et une poignée de retraités. 13 hommes et 6 femmes. Des gens plutôt bien établis dans la vie : artisan, restaurate­ur, infirmière ou ex-chef d’entreprise. On trouve même un ancien consultant en ressources humaines, marié à la maire d’une commune rurale d’Ile-de-France, ainsi qu’un diplomate en activité ! Un trait commun rapproche tous ces individus : ils ont un jour porté l’uniforme, sont issus d’une famille de militaires, de policiers ou de gendarmes, et sont fascinés par l’univers de la guerre.

Le chef de ce groupe, Guy S., 67 ans, est un ancien brigadier-chef des CRS. Il coule une retraite paisible en Charente-Maritime, du moins en apparence. Un de ses adjoints, Dominique C., 65 ans, ex-employé de France Télécom, est le fils d’un gendarme engagé en Indochine et en Algérie. Il a lui-même été membre du service de sécurité du RPR, puis de l’UMP, avant de rompre avec le milieu politique. Marc G., celui qui a organisé le déjeuner, est diplomate de carrière : il vient d’être affecté à l’ambassade de

France au Salvador. Mais, avant de réussir le concours du ministère des Affaires étrangères, cet adepte du body-building a servi vingt-quatre années dans la Marine nationale. Son futur bras droit, Bernard S., 70 ans, l’ex-consultant en ressources humaines, a milité dans les années 1960 au sein d’Occident, un mouvement d’extrême droite violent. Dans le groupe fondateur d’AFO, on trouve encore Philippe C., 55 ans, employé d’une compagnie de taxis et passionné d’armes à feu. C’est un ancien du 1er régiment de parachutis­tes d’infanterie de marine (RPIMa), une unité des forces spéciales. Ou bien Daniel R., 33 ans, naguère engagé volontaire dans l’artillerie, qui a servi en Afghanista­n. Son truc à lui, ce sont les explosifs. Et l’imagerie nazie, avec une prédilecti­on pour Adolf Hitler.

Paradoxale­ment, tout ce petit monde se voit comme un mouvement de résistance, contraint de prendre les armes pour s’opposer à « l’occupation » liée au « péril islamique ». Comme dans toute organisati­on clandestin­e, les membres prennent des pseudonyme­s. Chez AFO, les noms de code ont un parfum de culture classique, un tantinet vieille France. Guy S., le commandant national, est « Richelieu ». Son épouse, Marie-Véronique, c’est « Ninon », pour Ninon de Lenclos, femme de lettres du xviie siècle. Ses adjoints, Bernard S. et Dominique C., répondent respective­ment aux surnoms de « Souvigny » et de « La Charce » (une commune de la Drôme). Cet anonymat va leur permettre, pendant des mois, de structurer le mouvement et de planifier des actions violentes. Jusqu’à ce que deux membres d’AFO finissent par attirer, en février 2018, l’attention des services

« Des années après avoir quitté l’uniforme, ils se croient toujours investis d’une mission sacrée »

de renseignem­ent. Quelques semaines plus tard, le groupuscul­e sera d’ailleurs infiltré par une nouvelle recrue…

Pour l’heure, la priorité d’AFO est de recruter de nouveaux volontaire­s, dans les milieux policiers et militaires, ainsi que parmi les chasseurs. A l’inverse, quelques participan­ts au déjeuner fondateur de Barbizon vont prendre leurs distances. Bien leur en a pris car, le 24 juin 2018, les policiers interpelle­nt en urgence 10 membres du groupe, en région parisienne, dans le centre de la France, en CharenteMa­ritime et en Corse. Certains d’entre eux semblaient sur le point de passer à l’action. Au mois de juillet suivant, trois autres personnes sont arrêtées en Ile-de-France et dans la Creuse. Le 2 juin 2019, à l’aéroport de Roissy-Charles-deGaulle, les policiers de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) cueillent en douceur Marc G., alias « Cortes », le diplomate, au pied de l’avion qui le ramène du Salvador. Enfin, selon nos informatio­ns, une quinzième personne a été interpellé­e le 4 octobre dernier, et mise en examen : Jean-Marie P., 55 ans, qui avait participé à un autre « repas AFO », en mai 2018, à Nogent-le-Rotrou (Eure-etLoir) – mais qui n’aurait pas intégré le groupe par la suite.

A ce jour, donc, 15 personnes sont mises en examen pour « associatio­n de malfaiteur­s terroriste ». A l’issue d’une période de détention provisoire, elles ont été remises en liberté, mais sont soumises à un strict contrôle judiciaire ou portent un bracelet électroniq­ue, dans l’attente d’un jugement. Certes, AFO n’est pas un cas unique en France. La mouvance de l’ultradroit­e comprend entre 2 000 et 3 000 individus, dont une très grande majorité de « sympathisa­nts ». Parmi eux, un noyau dur d’environ 350 personnes possédant une arme à feu. Et une moitié de ce contingent est fichée S, pour « sécurité de l’Etat ». Ces deux dernières années, trois autres groupuscul­es suspectés de basculer dans le terrorisme ont été démantelés. Au mois de juin 2017, la police interpelle Logan Nisin, 21 ans, à Vitrolles (Bouches-du-Rhône). Ce jeune homme passé par différente­s formations radicales envisageai­t de commettre un attentat contre une mosquée ou des personnali­tés politiques, comme Christophe Castaner ou Jean-Luc Mélenchon. Une dizaine de personnes de son entourage, soupçonnée­s d’appartenir à un réseau OAS (référence au mouvement pro-Algérie française, au début des années 1960), seront ensuite entendues, avant d’être remises en liberté. Par ailleurs, le 6 novembre 2018, les forces de l’ordre arrêtent six membres des « Barjols », un groupuscul­e identitair­e suspecté de vouloir s’en prendre au président Macron. Deux autres hommes, âgés de 30 et de 45 ans, ont été interpellé­s le 15 novembre, dans cette même affaire. Au mois d’octobre, enfin, une dizaine de fans d’Anders Breivik, le tueur de masse en Norvège en 2011, ont été arrêtés près de Pau (Pyrénées-Atlantique­s) et mis en examen pour « apologie du terrorisme ».

Le risque de voir émerger des mouvements terroriste­s issus de l’extrême droite radicale avait été diagnostiq­ué en février 2017 par Patrick Calvar, alors patron de la DGSI. « Nous ne sommes pas à l’abri d’une action violente […] qui ferait […] monter un degré de tension entre les communauté­s », avertissai­t le chef du contre-espionnage français, auditionné à huis clos par une commission parlementa­ire. Avant de poursuivre : « Vous aurez une confrontat­ion entre l’ultradroit­e et le monde musulman. Pas les islamistes, mais bien le monde musulman. »

C’est en effet l’objectif du groupe AFO. Mais sa compositio­n très particuliè­re révèle un phénomène troublant. « D’ordinaire, les adeptes de l’ultradroit­e radicale sont bien connus des services de renseignem­ent. L’aspect inquiétant d’AFO vient du fait que ses recrues appartienn­ent à une “zone grise” qui n’est pas systématiq­uement surveillée », analyse Jean-Yves Camus, spécialist­e de l’extrême droite. « Par ailleurs, ses membres fonctionne­nt selon le principe “soldat un jour, soldat toujours !” Des années, voire des

décennies après avoir quitté l’uniforme, ils s’imaginent toujours investis d’une mission sacrée, qui serait de sauver la France… » Le politologu­e ajoute : « Selon leur mode de pensée, les Français ne sont plus protégés : les forces de l’ordre sont muselées par un pouvoir politique qui ne veut pas “éradiquer” l’islamisme. Du coup, ils estiment légitime de les remplacer… »

L’Express est aujourd’hui en mesure, à partir d’éléments issus de l’enquête, de reconstitu­er la genèse, l’organisati­on et les projets sinistres de ce groupe clandestin. Entre haine de l’islam, paranoïa et fantasme guerrier, AFO se préparait à mener des actions meurtrière­s : assassinat d’imams radicaux, tirs et jets d’explosifs sur des mosquées, agressions de femmes voilées, empoisonne­ment de denrées alimentair­es dans des supermarch­és halal…

Acte 2 Où des membres du mouvement partent en quête d’armes et d’explosifs

L’origine de toute cette affaire remonte aux premiers mois de l’année 2016. Quelques semaines après les attentats du 13 novembre 2015, des militants d’extrême droite jettent les bases d’un mouvement hostile à « l’islamisati­on du pays » : les Volontaire­s pour la France (VPF). Constituée en associatio­n, l’organisati­on est même une marque déposée, le 27 novembre 2015, à l’Institut national de la propriété industriel­le (Inpi), par Gérard H., patron d’une société de sécurité privée. A son côté, deux figures de proue. Antoine Martinez, général en retraite de l’armée de l’air, qui se présente comme un « spécialist­e du renseignem­ent ». Et Yvan Blot (mort en octobre 2018), un ancien haut fonctionna­ire et responsabl­e politique passé du RPR au Front national. L’homme avait siégé sous cette dernière étiquette au Parlement européen, entre 1989 et 1999. Via un site Internet toujours actif, les VPF véhiculent un discours antimusulm­ans virulent, tout en prenant soin de ne pas tomber sous le coup de la loi. Précision : le mouvement compte aujourd’hui parmi ses cadres Renaud Camus, le chantre du « grand remplaceme­nt ». En 2016, Guy S., le futur chef d’AFO, siège au comité directeur de l’organisati­on. D’ailleurs, la majorité des participan­ts au déjeuner de Barbizon, en août 2017, sont déjà membres des VPF. Le mouvement revendique bientôt 800 sympathisa­nts dans toute la France. Mais, rapidement, les plus déterminés s’ennuient. Plus que des discours, ils veulent de l’action. Surtout, ils estiment que les articles diffusés sur Internet risquent d’attirer l’attention des services de renseignem­ent. Bien vu.

A partir du printemps 2017, plusieurs membres regroupés autour de Guy S. envisagent de faire scission. Désormais, ils utilisent des pseudonyme­s pour communique­r via une messagerie chiffrée. Le 4 juillet 2017, Marc G., le diplomate, informe un proche de la création probable d’une dissidence des VPF : « Il y a deux tendances, ceux qui veulent continuer à faire de l’influence et à bouger très modérément […] et ceux qui voudraient que les choses avancent plus rapidement et qui ont le doigt sur la gâchette. » Un mois plus tard, les conjurés se retrouvent à Barbizon. Le 2 août 2017, le groupe Action des forces opérationn­elles (AFO), faction clandestin­e et véritable bras armé de la lutte contre le « péril islamique », est porté sur les fonts baptismaux. Dès le lendemain, des principes d’organisati­on s’échafauden­t. Marc G., encore, confie à « Achille », c’est-à-dire Philippe C., l’ancien parachutis­te : « Richelieu [Guy S.] m’a demandé de composer une équipe qui serait en mesure d’effectuer les missions. […] Elles seront simples, elles devront frapper en riposte à une action de la partie adverse […]. Ces frappes seraient faites de manière rapide par des groupes formés de trois ou quatre personnes réparties sur tout le territoire national. »

La partie adverse ? Il s’agit évidemment d’islamistes radicaux, ou supposés tels. A ce stade, les cibles potentiell­es

ne sont pas encore clairement désignées. Mais, en attendant, le mouvement étend son « maillage territoria­l ». AFO chapeaute dix réseaux régionaux, dirigés par autant de « commandant­s ». Leurs surnoms sont évocateurs : « Exocet », « Duc d’Aumale », « Briseur de rêves »… Tous sont placés sous l’autorité exclusive du commandant national, Guy S. Une cellule « action » se constitue en Ile-de-France. Marc G., alias « Cortes », en prend la tête. Son adjoint et futur successeur, c’est « Souvigny », l’ancien du groupe Occident. A leurs côtés, « Achille », le vétéran du 1er RPIMa, et « Tommy » (Daniel R.), l’ex-artilleur, forment une équipe pressée d’en découdre.

AFO classe ses recrues suivant un code de trois couleurs. Les « blancs » sont les sympathisa­nts : le mouvement en revendique entre 200 et 300. Les « gris », eux, sont chargés de la logistique et de la formation. Exemple : les membres féminins s’occupent de la communicat­ion interne et des conditions de vie du groupe après le déclenchem­ent, imminent, de la « guerre civile ». Survivalis­tes, les partisans d’AFO installent des zones de repli. Ils y stockent nourriture et produits de première nécessité, en vue de protéger leurs familles. Ainsi, Sandrine F., infirmière, et Sylvie C., retraitée, ont pour mission de constituer des réserves de médicament­s. Les « noirs », enfin, seront chargés des actions violentes. Il s’agit des ex-militaires et des membres les plus aguerris au maniement des armes et aux techniques de combat.

Entre décembre 2017 et juin 2018, une dizaine de réunions et de stages sont organisés. A Chablis (Yonne), sur un terrain mis à dispositio­n par un sympathisa­nt, « Souvigny », « Tommy » et « Achille » vont tester des explosifs, leurs « recettes de cuisine ». A partir de grenades d’airsoft (utilisées lors des jeux de simulation guerrière), ils cherchent à mettre au point des armes artisanale­s. Les perquisiti­ons menées après la première vague d’interpella­tions révéleront, chez « Tommy », l’existence d’un petit laboratoir­e clandestin, où l’ancien artilleur voulait fabriquer du TATP, un puissant explosif.

Les membres « noirs » d’AFO cherchent également à se procurer des armes à feu performant­es. Plusieurs d’entre eux pratiquent le tir sportif et possèdent, plus ou moins légalement, des pistolets ou des fusils de chasse. Selon un document à usage interne, intitulé « Armement », Bernard S., « Souvigny », qui a succédé à « Cortes » comme chef de l’Ile-de-France, dispose déjà d’une sacrée collection : cinq fusils de différents calibres, deux carabines, un revolver, un pistolet et des munitions en quantité. Mais ce n’est pas suffisant. Le document récapitule l’arsenal nécessaire : « 5 à 10 armes de poing de bon calibre et 10 000 munitions, 2 chargeurs pour chaque ; une douzaine de pistolets-mitrailleu­rs ou AK-47 et 20 000 munitions, 3 chargeurs pour chaque ; une centaine de grenades (2/3 offensives, 1/3 défensives). » Budget estimé : « De 15 000 à 20 000 euros »… Reste à trouver la bonne filière.

A la fin du mois d’avril 2018, « Achille » et « Tommy » se rendent à la bourse aux armes de Ciney, près de Namur (Belgique). Là, ils comptent acheter deux armes de poing « historique­s », pour les remilitari­ser. Echec. A la même période, « Souvigny », qui possède une maison en Corse, pense pouvoir se procurer des Sten, des Thomson et des CZ, autrement dit des pistolets-mitrailleu­rs datant de la Seconde Guerre mondiale. Las ! ces pièces se révèlent « mal entretenue­s » et « chères ». Une autre filière s’ébauche en Corse. Chacun devra payer son arme, puis « Souvigny » et deux autres « noirs » d’AFO iront les récupérer sur l’île, façon « go fast », avec un véhicule ouvreur et un autre, suiveur. Cette possibilit­é va, elle aussi, faire long feu… Depuis le Salvador, « Cortes », qui continue à donner des instructio­ns et des conseils par messagerie chiffrée, envisage de rapporter des armes en quantité dans sa valise diplomatiq­ue. Avant de renoncer.

Acte 3 Où les soldats perdus de la haine s’égarent entre impatience et impuissanc­e

Le découragem­ent commence à poindre chez certains. L’impatience, chez d’autres. L’un des membres « noirs » prend ses distances. Un autre se plaint : « Il aurait fallu déjà qu’on aille dans un coin de l’Ile-de-France et dès qu’on voyait un barbu en qamis, là, habillé comme ça, qu’on lui en colle une, direct, et qu’on croise deux ou trois nanas voilées, qu’on leur en colle une et puis on se tire. » Bravade, autopersua­sion ou véritable volonté meurtrière ?

Quoi qu’il en soit, les membres d’AFO continuent d’affiner leurs projets. L’option, irréaliste, d’assassiner 100 « imams radicaux » en cas de nouvel attentat, est revue à la baisse. On imagine maintenant s’en prendre à un imam salafiste de Brest (Finistère), critiqué pour ses déclaratio­ns sectaires sur la musique et les « mécréants transformé­s en cochons », ou à un autre de Nanterre (Hauts-de-Seine).

Lors d’une réunion tenue dans une auberge de Senonches (Eure-et-Loir), le 11 mars 2018, les esprits s’échauffent. « Quand les cibles vont-elles être définies par le national ? Pourquoi n’obtient-on que des réponses fuyantes ? » s’emporte l’un d’eux. « Opérations locales meurtrière­s à envisager ? Halal ? Mosquée ? Ces deux points sont actuelleme­nt préparés chez nous par des groupes spécifique­s. Quand ils seront prêts, on leur dit quoi ? On leur dit d’attendre ? »

L’attentat de Trèbes (Aude), le 23 mars 2018, durant lequel un djihadiste assassine avec un couteau quatre personnes, dont le colonel Arnaud Beltrame, renforce le doute au sein d’AFO. « Si l’ordre avait été donné de mener une action […], soyons lucides, nous n’étions pas prêts », déplore le compte rendu d’une réunion tenue au mois de mai suivant. Que faire, alors ? Trouver des « solutions palliative­s ». C’est ainsi que quelques membres, menés par

« Souvigny », échafauden­t deux nouvelles opérations : « mosquées » et « halal ». Les objectifs, consignés par écrit dans un document, font froid dans le dos. « L’idée est de faire sauter la porte d’une mosquée […]. Nous avons de la poudre et les tireurs à longue distance. » Une cible éventuelle est citée : une mosquée de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), commune où des prières de rue s’étaient tenues un an auparavant. Deux photos de l’entrée de la mosquée sont glissées dans le document.

Le projet « halal », maintenant : il s’agit d’empoisonne­r des produits alimentair­es dans sept ou huit supermarch­és spécialisé­s de la région parisienne. « Non pour tuer, mais pour rendre assez malades » ceux qui les consommera­ient, pour « discrédite­r le halal ». Mode opératoire : après avoir été achetés, les aliments seraient empoisonné­s avec de la mort-aux-rats, au domicile de « Souvigny », puis redéposés dans les rayons. Cette dernière étape serait assurée par « les femmes membres du groupe, habillées en niqab pour ne pas éveiller l’attention »…

Ce dernier projet choque certains militants. Pourtant, lors d’une dernière réunion, organisée le 16 juin 2018 chez « Souvigny », il semble que cinq d’entre eux aient manifesté leur accord. Philippe C., alias « Achille », effectuera d’ailleurs des repérages dans un supermarch­é halal d’Athis-Mons (Essonne). Autre découverte alarmante : les enquêteurs retrouvero­nt une note manuscrite recensant le nombre et la nationalit­é des réfugiés en Dordogne. Quel était le but de cette étrange comptabili­té ?

Nous ne le saurons peut-être jamais. Car, face à l’emballemen­t de quelques partisans d’AFO, les policiers de la DGSI procèdent aux dix premières interpella­tions, le 24 juin 2018. Un an plus tard, « Cortes », le diplomate, alerte sa femme seulement la veille de son retour en France. Craignant d’être arrêté, il lui demande de rester discrète.

Entendus à plusieurs reprises par les enquêteurs, à quelques mois de distance, tous les membres d’AFO minimisent leur implicatio­n et leur degré de connaissan­ce des actes violents en préparatio­n. Deux femmes affirment « avoir été manipulées » : elles n’étaient « intéressée­s que par le survivalis­me », affirment-elles. Dominique C., chargé du recrutemen­t, dit être « tombé des nues » en découvrant certaines attaques envisagées. Qu’en dit Bernard S., « Souvigny », le chef des« noirs » ? « C’était beaucoup de folklore… » Confronté à Guy S., le n° 1 d’AFO, en janvier dernier, il affirme n’avoir jamais cru aux possibilit­és de livraisons d’armes évoquées par celui-ci. Quant aux opérations « mosquées » et « halal », elles n’auraient « jamais existé » : « C’était plus pour souder une équipe autour d’une action, mais cela n’a jamais eu aucun sens. » Poussé dans ses retranchem­ents, il s’insurge face aux policiers : « Vous me parlez de terrorisme, c’est insupporta­ble ! » clame-t-il, soulignant que sa petite-fille a perdu deux amis dans l’attentat du Bataclan, en novembre 2015. De son côté, Guy S. dément avoir donné pour instructio­n de se procurer des armes, ou avoir été informé des « opérations parisienne­s sur le halal ». Sollicités par L’Express, les avocats de plusieurs mis en cause n’ont pas souhaité s’exprimer sur ce dossier toujours à l’instructio­n. Seul Me Gabriel Dumenil, défenseur de Daniel R., alias « Tommy », fait savoir : « Le rôle d’artificier prêté à mon client ne correspond pas à la réalité, et il n’avait absolument pas l’intention de passer à l’acte. »

Alors, AFO n’était-il qu’un rassemblem­ent de fiers-à-bras, au sein duquel chacun projetait ses obsessions et ses fantasmes mortifères ? Ou bien un véritable groupe criminel, dont les leaders n’ont pas trouvé les moyens de parvenir à leurs fins ? La justice le dira. Devant les policiers, l’un des conjurés a fait acte de contrition : « J’ai pu tenir des propos violents, je le reconnais. […] Mais je n’ai jamais dit que j’étais contre les musulmans. J’ai des amis musulmans. » Sur ce dernier point, nul n’est obligé de le croire.

Après avoir été achetés, les aliments seraient mélangés à de la mort-auxrats, puis redéposés dans les rayons

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Ils sont des personnage­s de l’époque. Voici leurs quêtes, cheminemen­ts, révélation­s, combats et raclées
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