WASHINGTON SENS DESSUS DESSOUS
Le désordre permanent provoqué par la présidence chaotique de Donald Trump produit un effet positif et paradoxal : il mobilise les deux camps. Et, ainsi, revigore la démocratie.
Donald Trump est probablement un homme heureux. Trois ans après son avènement, ce président, dont la chute était annoncée avant même qu’il ne prête serment le 20 janvier 2017, est toujours là. Et il s’épanouit dans le chaos, qui a toujours été son élément naturel. A Washington et dans les 49 autres Etats, le paysage politique ressemble à un champ de bataille. Ses adversaires démocrates, encore sous le choc de la défaite surprise d’Hillary Clinton, et toujours horrifiés par la personnalité du chef de l’Etat, peinent à s’organiser. Tiraillé entre plusieurs tendances et une vingtaine de candidats potentiels à la présidence, le Parti démocrate n’a qu’un seul dénominateur commun : son opposition à Trump.
Les Républicains sont également divisés, entre les Never Trumpers, qui espèrent secrètement sa défaite (mais sans le dire par crainte de froisser leur base électorale) et les soutiens indéfectibles du président, chrétiens de droite en tête. Le sommet de l’Etat ? Il est, lui aussi, sens dessus dessous. Donald Trump épuise collaborateurs, ministres, directeurs diplomates et d’administration, qui se succèdent à un rythme effréné (voir page 25). Enfin, de l’Europe à la Chine en passant par le Moyen-Orient, les relations internationales sont chamboulées (voir page 36).
Afin de stopper cette machine infernale, la gauche du Parti démocrate s’est mis en tête de lancer une procédure de destitution. Les auditions publiques ont démarré mercredi 13 novembre à la Chambre des représentants, devant la commission du renseignement présidée par l’ancien procureur Adam Schiff (démocrate). Il s’agit de démontrer que, lors d’une conversation téléphonique, le 25 juillet dernier, Donald Trump a usé de ses prérogatives pour inciter son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky à diligenter une enquête sur le fils de Joe Biden, l’un des précandidats démocrates à la présidentielle. Hunter Biden aurait indûment perçu des sommes d’argent importantes en Ukraine, à l’époque où son père, alors vice-président, était le réprésentant spécial de Barack Obama dans le pays.
Même si la très influente, habile et expérimentée speaker (présidente) de la Chambre des représentants Nancy Pelosi affirme que le président américain s’est rendu coupable de faits « plus graves que ceux commis par Richard Nixon », cela reste à prouver juridiquement. Accessoirement, il faut que deux tiers des sénateurs votent, le moment venu, en faveur de l’impeachment. Quasi impossible
dans cet hémicycle contrôlé par 53 sièges sur 100 par les Républicains.
Assiste-t-on, malgré tout, à un tournant ? Certains signaux semblent l’indiquer, comme la défaite des candidats « rouges » (la couleur du Parti républicain) lors d’élections le 5 novembre dans le Kentucky et en Virginie et le 17 novembre en Lousiane, trois Etats où Trump avait largement gagné en 2016. Par ailleurs, depuis le 1er octobre, les Américains favorables à une procédure d’impeachment sont pour la première fois majoritaires : 48,5 % sont pour ; 45,7 %, contre. L’écart est cependant léger, et les sondages (qui s’étaient trompés en 2015) difficiles à interpréter, Donald Trump étant à peu près aussi populaire que l’était Barack Obama en 2011 un an avant sa réélection.
Seule certitude : le pays, dont l’économie va bien (voir page 30), est en guerre contre lui-même. Il suffit d’allumer successivement Fox News et CNN pour mesurer à quel point le degré de détestation entre conservateurs et libéraux prend des proportions inédites. Mais cette polarisation s’accompagne paradoxalement d’une bonne nouvelle : pour 2020, les experts prédisent une mobilisation et une participation record des électeurs pro-Trump et anti-Trump. La bataille sera sans pitié.