SA VÉRITABLE PLANCHE DE SALUT
Le chômage est au plus bas et la croissance reste solide. Mais l’offensive commerciale lancée contre la Chine et l’Europe n’a pas produit la réindustrialisation espérée.
Et si les mathématiques avaient raison ? Ray Fair n’en démord pas, l’économie va sauver Donald Trump. Ce professeur de l’université Yale a développé un modèle bardé d’équations qui passe à la moulinette des dizaines de données pour prévoir le résultat des élections. En quarante ans, Ray Fair a gagné bon nombre de paris. A un an de la présidentielle, cet universitaire est formel : si le scrutin se déroulait aujourd’hui, Trump remporterait haut la main la course à la Maison-Blanche. « Certes, sa personnalité a tellement divisé le corps électoral que les chiffres peuvent mentir », finit-il par admettre.
Le bilan économique, voilà ce que le président américain va brandir dans la campagne présidentielle qui débute.
Et il a plutôt raison. Sur le papier, les statistiques jouent en sa faveur. Même ses détracteurs le reconnaissent : « L’économie américaine va plutôt bien, et le plein-emploi est quasiment atteint », avoue James Galbraith, professeur d’économie à l’université du Texas, à Austin, et soutien du candidat démocrate Bernie Sanders. Depuis l’installation de Trump à la MaisonBlanche, la locomotive américaine a avancé sur un rythme annuel proche de 2,5 %, tandis que le taux de chômage est tombé à 3,6 %, son plus bas niveau depuis 1969. Les pythies de Washington s’en donnent à coeur joie : depuis la Seconde Guerre mondiale, jamais un président sortant n’a perdu l’élection avec un taux de chômage inférieur à 7,4 % ; jamais un président sortant ne s’est présenté devant les électeurs avec une situation de l’emploi aussi flatteuse sur le papier…
La réalité, comme toujours, est plus nuancée. Si les Etats-Unis entrent dans leur 11e année d’expansion – la plus longue depuis soixante-dix ans –, jamais une reprise n’a été aussi faiblarde. De fait, Trump va devoir assumer un chapelet de paradoxes. Certes, le taux de chômage est au plus bas, mais les salaires ne décollent pas vraiment, et le taux d’emploi – qui mesure la proportion de personnes ayant un emploi parmi toutes celles en âge de travailler – n’a pas retrouvé ses niveaux d’avant la crise de 2009. La raison ? Des millions d’Américains, et notamment des hommes, ont quitté le marché du travail, renonçant à trouver un job. Si le taux de pauvreté a continué à reculer, 27,5 millions d’Américains ne sont plus couverts par une assurance-maladie, soit quasiment 2 millions de plus qu’en 2017, d’après le Bureau du recensement.
Difficile de s’y retrouver dans cette forêt de statistiques contradictoires. Elles renvoient cependant l’image d’une économie fragile. « Le coup de maître de Trump est d’avoir fait voter au début de son mandat une relance fiscale inimaginable bénéficiant largement aux entreprises et aux ménages les plus fortunés, oubliant au passage les classes populaires qui l’ont élu », souligne Nicholas Dungan, chercheur à l’Atlantic Council. A coup de baisses d’impôts et de dépenses budgétaires, notamment militaires, ce sont près de 1 500 milliards de dollars qui vont
être injectés sur dix ans dans l’économie américaine. Avec un résultat à la clef : le creusement du déficit public, qui devrait atteindre les 1 000 milliards de dollars cette année, soit 4,6 % du PIB (contre 3,5 % en 2017). Compte tenu des déficits accumulés, la dette publique pourrait, elle, atteindre 95 % du PIB d’ici à 2030, un niveau inégalé en temps de paix, d’après les projections du Bureau du budget du Congrès.
Certes, ces cadeaux fiscaux ont permis aux multinationales de rapatrier aux Etats-Unis une partie des profits localisés à l’étranger, notamment dans des paradis fiscaux. Mais celles-ci n’ont pas investi davantage et ont utilisé cette manne pour racheter leurs actions, faisant grimper la Bourse. Depuis son élection, Wall Street a gagné près de 30 %. « Trump a tenu ses promesses. Si tout n’a pas réussi, il pourra toujours dire qu’il a essayé », défend Olivier Piton, avocat à Washington et auteur de La Nouvelle Révolution américaine. De fait, la guerre commerciale et tarifaire contre la Chine a pour l’instant échoué : le déficit commercial ne s’est pas réduit, la réindustrialisation est timide (voir page 34), et les agriculteurs, piliers du vote Trump, ont souffert de la fermeture du marché chinois. « Si Trump perd leur vote, il est fichu », pronostique Georges Ugeux, fondateur de Galileo Global Advisors, un fonds d’investissement new-yorkais. Là, les équations de Ray Fair sont muettes.