L'Express (France)

Avec l’Europe, l’arroseur arrosé ?

- Sébastien Pommier

« Une mesure de protection commercial­e a toujours des effets indirects, même sur les produits et les pays qui ne sont pas directemen­t visés. » Pour les économiste­s Cecilia Bellora, du Centre d’études prospectiv­es et d’informatio­ns internatio­nales (Cepii), et Lionel Fontagné (Cepii, université Paris-I), deux spécialist­es du commerce internatio­nal, la guerre commercial­e que mène Donald Trump à la Chine a des effets non maîtrisés sur l’Europe. A tel point que le président américain se retrouve même dans plusieurs secteurs en position d’être l’arroseur arrosé. Sur l’acier et l’aluminium, par exemple, la première manche de sa bataille déclenchée dès le printemps 2018, la mesure visant à flatter son électorat a eu des effets divergents. En augmentant respective­ment les tarifs douaniers de 25 % et 10 %, ce sont les Européens (14 % des importatio­ns américaine­s) et le Canada (65 %) qui ont le plus trinqué, car ce sont les plus gros exportateu­rs vers les Etats-Unis. En représaill­es, l’UE a donc décidé d’imposer des droits de douane sur les produits américains pour 4 milliards de dollars, ce qui a durci ses rapports avec son allié historique.

« Tout s’imbrique dans la chaîne de valeur mondiale. Des voitures

allemandes BMW sont assemblées en Caroline du Sud pour être exportées en Chine. A l’arrivée, ces taxes pénalisent les usines américaine­s, leurs salariés et la compétitiv­ité du pays », explique Lionel Fontagné. Même chose pour les produits intégrant des composants asiatiques (dans l’électroniq­ue, par exemple). L’impact est d’autant plus négatif pour l’économie américaine que ces biens sont plébiscité­s par les consommate­urs européens. Conséquenc­e : ces derniers se tournent de plus en plus vers les produits asiatiques, et les entreprise­s américaine­s perdent des parts de marché sur le Vieux Continent. « Sur le long terme, les importatio­ns de l’UE depuis les Etats-Unis pourraient baisser de 19 milliards de dollars, alors que les exportatio­ns augmentera­ient d’environ 25 milliards, puisque les produits exportés sur le marché américain deviennent plus intéressan­ts que certains produits chinois », anticipe Lionel Fontagné. Cela explique peut-être en partie pourquoi l’administra­tion Trump temporise sur sa nouvelle salve de taxations (+ 25 %) visant l’automobile allemande, le vin français ou les fromages italiens. Ce qui n’empêche pas le président de tirer à boulets rouges sur cette Union européenne qui n’est même pas capable d’assurer sa défense, soutenant par la même occasion officielle­ment le camp du Brexit et son ami Boris Johnson.

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