Avec l’Europe, l’arroseur arrosé ?
« Une mesure de protection commerciale a toujours des effets indirects, même sur les produits et les pays qui ne sont pas directement visés. » Pour les économistes Cecilia Bellora, du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), et Lionel Fontagné (Cepii, université Paris-I), deux spécialistes du commerce international, la guerre commerciale que mène Donald Trump à la Chine a des effets non maîtrisés sur l’Europe. A tel point que le président américain se retrouve même dans plusieurs secteurs en position d’être l’arroseur arrosé. Sur l’acier et l’aluminium, par exemple, la première manche de sa bataille déclenchée dès le printemps 2018, la mesure visant à flatter son électorat a eu des effets divergents. En augmentant respectivement les tarifs douaniers de 25 % et 10 %, ce sont les Européens (14 % des importations américaines) et le Canada (65 %) qui ont le plus trinqué, car ce sont les plus gros exportateurs vers les Etats-Unis. En représailles, l’UE a donc décidé d’imposer des droits de douane sur les produits américains pour 4 milliards de dollars, ce qui a durci ses rapports avec son allié historique.
« Tout s’imbrique dans la chaîne de valeur mondiale. Des voitures
allemandes BMW sont assemblées en Caroline du Sud pour être exportées en Chine. A l’arrivée, ces taxes pénalisent les usines américaines, leurs salariés et la compétitivité du pays », explique Lionel Fontagné. Même chose pour les produits intégrant des composants asiatiques (dans l’électronique, par exemple). L’impact est d’autant plus négatif pour l’économie américaine que ces biens sont plébiscités par les consommateurs européens. Conséquence : ces derniers se tournent de plus en plus vers les produits asiatiques, et les entreprises américaines perdent des parts de marché sur le Vieux Continent. « Sur le long terme, les importations de l’UE depuis les Etats-Unis pourraient baisser de 19 milliards de dollars, alors que les exportations augmenteraient d’environ 25 milliards, puisque les produits exportés sur le marché américain deviennent plus intéressants que certains produits chinois », anticipe Lionel Fontagné. Cela explique peut-être en partie pourquoi l’administration Trump temporise sur sa nouvelle salve de taxations (+ 25 %) visant l’automobile allemande, le vin français ou les fromages italiens. Ce qui n’empêche pas le président de tirer à boulets rouges sur cette Union européenne qui n’est même pas capable d’assurer sa défense, soutenant par la même occasion officiellement le camp du Brexit et son ami Boris Johnson.