Trump-Macron : un lien très personnel
Auteur d’un essai sur l’Europe et les Etats-Unis, Benjamin Haddad* décrypte la relation Washington-Paris.
Poignées de mains viriles, grandes embrassades, tweets rageurs, désaccords publics, etc. Comment comprendre la relation entre les présidents Trump et Macron, que tout semble opposer ? La France est le pays que Donald Trump a le plus visité au cours de son mandat, tandis qu’Emmanuel Macron reste à ce jour le seul invité d’Etat du mandat du président des Etats-Unis.
Emmanuel Macron a suivi deux approches parallèles avec les EtatsUnis. D’une part, il a tissé un lien de confiance, voire amical, avec le président Trump, outsider politique comme lui. Les deux se parlent régulièrement au téléphone et affichent leur bonne entente au cours de leurs rencontres. Ils ont décidé ensemble de frapper les installations du régime d’Assad après l’utilisation d’armes chimiques contre les civils syriens, en avril 2018. Macron ne désespère pas de rappeler à Trump son passé de businessman, toujours à l’affût du bon deal, en se faisant le médiateur avec des adversaires de Washington, comme l’Iran, dont il a invité le président au G7 à Biarritz. Mais, « en même temps », le président français a exhorté les Européens à se prendre en charge pour développer leur propre défense, assumer leur autonomie d’une Otan « en état de mort cérébrale » et leurs désaccords avec une administration ouvertement hostile au projet européen, animée par une vision nationaliste, unilatérale et mercantiliste des relations internationales.
Les liens personnels comptent-ils en diplomatie ? Plus que ne le croient les tenants de l’école réaliste, qui ne veulent voir que des Etats désincarnés défendant froidement leur intérêt national ; moins que ne l’espèrent les dirigeants eux-mêmes, qui oublient parfois que les calculs de politique intérieure et les forces profondes de l’action des Etats l’emportent souvent sur l’énergie ou la psychologie des individus.
La relation établie par Macron portet-elle ses fruits ? Naturellement, nous n’aurons jamais le scénario contrefactuel : combien de décisions dangereuses ont-elles pu être évitées grâce à un coup de téléphone opportun ? Mais Trump est moins flexible que ne le croyaient certains au début de sa présidence. Souvent décrit à tort comme « imprévisible », il tient au contraire à respecter ses promesses de campagne (en particulier en politique étrangère, où il a plus de marges de manoeuvre que sur le plan intérieur), mais aussi à mettre en oeuvre ses intuitions personnelles anciennes sur des sujets comme le commerce international. Ainsi, l’activisme des dirigeants européens, au premier rang desquels Emmanuel Macron, n’a pu empêcher le retrait de l’accord de Paris sur le climat, et de celui sur le nucléaire iranien, la reconnaissance unilatérale de Jérusalem comme capitale israélienne ou encore, le mois dernier, le retrait du Nord-Est syrien, dont les conséquences sécuritaires pour l’Europe seront désastreuses.
A l’heure où les dirigeants américains, Obama comme Trump, reprochent aux Européens leur rôle de « passagers clandestins » dépendant du parapluie militaire américain, la France se démarque de partenaires tels que l’Allemagne par sa capacité d’agir dans les opérations extérieures, comme au Sahel. C’est cette autonomie d’action qui peut en faire un allié de premier plan des Etats-Unis, mais aussi un leader diplomatique en Europe, à l’heure où les
Américains s’éloignent durablement du Vieux-Continent, occupés par leurs affres intérieures mais aussi tournés vers le Pacifique. Encore faudra-t-il convaincre nos partenaires européens, qui préfèrent ne voir dans ces tendances lourdes qu’une parenthèse qui se refermera avec la fin de la présidence Trump.