LES GRANDS SPOTS DE MIDLETON
Irish Distillers, la plus grande distillerie d’Irlande, propose un trio haut en couleur de single pot still whiskeys, certains augmentés d’un « finish » distingué.
Midleton étonne. Cette petite ville côtière proche de Cork, dans le sud de l’Irlande, évoque la plus grande distillerie de l’île, avec une capacité de production de 19 millions de litres d’alcool par an (essentiellement des whiskeys). C’est d’ailleurs l’attraction touristique principale (400 000 visiteurs annuels) de cette région riche en restaurants jouant la double carte du bio et du locavore, comme Sage, ou Ballymaloe et sa célèbre école de cuisine.
Ultramoderne, jouxtant l’ancienne distillerie fondée en 1825 par les frères Murphy – James, Daniel et Jeremiah –, la performante unité de production d’Irish Distillers tourne à plein régime depuis 1975, forte de ses 13 gigantesques alambics en cuivre, dont le plus costaud du monde (143 872 litres), aujourd’hui à la retraite. Après un siècle et demi de services rendus à la transformation de l’eau pure de la rivière Dungourney, de l’orge maltée ou non, et de la levure en whiskeys, à l’issue d’une triple distillation – apanage irlandais (les Ecossais la pratique en double, quand les Américains se contentent d’un passage) –, l’ancienne distillerie et ses longs bâtiments en brique, datant du xviiie siècle sont devenus un musée du whiskey, où l’on suit un parcours pédagogique, la « Jameson Experience ». On peut aussi y participer à une passionnante masterclass placée sous la houlette d’un des experts maison, membre de l’Irish Whiskey Academy.
Propriété du groupe Pernod-Ricard depuis 1988, Irish Distillers était née une vingtaine d’années auparavant de la fusion de John Jameson & Son, de John Powers & Son et de la Cork Distilleries Company, qui produisaient notamment les marques populaires Powers, Jameson, Paddy, Tullamore Dew et Bushmills. Si certaines ont depuis été revendues, derrière les fers de lance que constituent Powers et Jameson, Irish Distillers propose aujourd’hui les whiskeys Redbreast (« le nectar irlandais »), Method and Madness (remarquables single grain issus de maïs importé depuis le port de Bayonne), Midleton Very Rare (haut de gamme) et une série sensationnelle : Green Spot, Yellow Spot et Red Spot.
DES BARRIQUES MARQUÉES D’UN POINT DE PEINTURE
Spécialité midletonienne, le single pot still whiskey, distillé trois fois en alambics à repasse (pot still), à partir d’un mélange d’orge maltée (60 %) et non maltée, est né au xviiie siècle. A l’époque, les distillateurs irlandais décidèrent de réduire la proportion d’orge maltée dans leur whiskey pour échapper en partie à la taxe sur le malt imposée par les Anglais. Ce distillat à la fois élégant et expressif forgea le style emblématique du whiskey irlandais jusqu’à son apogée, à la fin du xixe siècle.
Tombé en désuétude, au début des années 1970, au profit des whiskeys d’assemblage, le single pot
still whiskey revient en force, escorté de son intensité aromatique – l’orge non maltée, sublimée par la tripe distillation, délivre des notes inimitables d’épices, de résine et de fruits mûrs. L’adjectif« single » signifie qu’il provient d’une seule distillerie, en l’occurrence la New Midleton Distillery, de nos jours.
« Traditionnellement, le whiskey était vendu, jusque dans les années 1970, à des négociants qui se chargeaient d’élever le distillat dans leurs propres fûts avant de le mettre en bouteilles sous leur propre étiquette », précise Ciaran O’Donovan, l’ambassadeur de l’Irish Whiskey Academy, en feuilletant les livres de commandes dans la salle des archives. « Mitchell & Son est de ceux-là, depuis 1887. Mitchell s’est toujours fourni à la distillerie historique de Bow Street, à Dublin, où il remplissait ses anciens fûts de madère, de xérès ou de malaga. » Selon la période de maturation que le « whiskey bonder » souhaitait, il marquait ses barriques d’un point de peinture verte (green spot) pour le whisky destiné à être embouteillé à 10 ans d’âge, d’un point jaune le 12 ans et d’un rouge pour le 15 ans d’âge. La crise des années 1960 fit disparaître tant l’entonnage que l’élevage, et Irish Distillers se concentra un temps sur les blended (whiskeys d’assemblage). « Mais Mitchell & Son résista, poursuit Ciaran O’Donovan, et Midleton continua d’approvisionner les « green spots ». Sauf que, aujourd’hui, nous distillons, élevons et mettons en bouteille pour Jonathan Mitchell et son fils Robert ces single pot still réalisés comme au xixe siècle. »
Il est temps de déguster ces pépites. Yellow Spot est un 12 ans d’âge brut de fût non filtré à froid, élevé en fûts de chêne américain, européen (sherry) et de malaga (pedro ximénes) : belle complexité de foin coupé, poivre, muscade, clou de girofle, thé vert, miel, pêche, café moulu, chocolat au lait : le grand cocktail !
MENTION SPÉCIALE POUR UN 15 ANS D’ÂGE, LE RED SPOT
Green Spot est un no-age élevé durant sept à dix ans, à 75 % en fûts de chêne américain (ayant contenu du bourbon), et à 25 % en fûts de xérès oloroso : épicé, boisé (chêne grillé), fruité (pomme verte), vanillé. S’ajoutent deux particularités vertes : Green Spot Léoville Barton, un no-age vieilli en fûts de sherry oloroso et de bourbon, avec un finish de douze à vingt-quatre mois en barriques de chêne français issues du fameux grand cru classé de saint-julien (bordeaux). « Son propriétaire, Anthony Barton, est né en Irlande, en 1930, et le domaine appartient à sa famille depuis bientôt deux siècles, raconte Ciaran O’Donovan. Ce whiskey a ému la diaspora irlandaise », avec son toucher de bouche délicat, ses notes de sous-bois, de fruits rouges et d’épices (vanille, muscade, girofle).
« Idem avec notre Green Spot Château Montelena, de la Napa Valley, en Californie, qui appartient à la famille d’origine irlandaise Barrett ! » précise fièrement notre guide. Un finish de douze mois en barriques de chêne français ayant contenu du zinfandel, donne un whiskey aux notes de vanille, de chocolat blanc, de guimauve, de pomme verte et de poire mûre, avec une finale très pâte d’amande et chêne grillé.
Notre préférence va cependant au Red Spot, un 15 ans d’âge à la triple maturation en fûts américains de bourbon, andalous de sherry et siciliens de marsala, mais sans finish : épices (poivre, vanille), mangue, pomme rôtie, cerise noire, noisette et une touche de cuir. Douceur extrême (le marsala !), et complexité envoûtante. La synthèse.
Green Spot : 45 € ; Green Spot Montelena et Léoville Barton : 59 € ; Yellow Spot : 79 € ; Red Spot : 95 €.