WHISKY UNE QUESTION DE «FINISH»
La finition ou la double maturation, passages obligés ? Pas forcément, mais un art délicat capable de sublimer le distillat ou… de le dénaturer. Explications.
Le whisky ne connaît pas la crise. Et sûrement pas le secteur des « super premiums ». Une catégorie où le « finish » (c’est-à-dire l’ultime période de vieillissement) est roi. Si ce phénomène ne date pas d’hier, il a pris une ampleur assez inédite depuis quelques années – et pas seulement en Ecosse (voir page 111). Qui l’aurait prédit, à la fin des années 1980, lorsque Glenmorangie édite son premier whisky (un millésime 1963) vieilli en fûts de xérès oloroso ? Un succès qui pousse alors les distillateurs de la ville de Tain, dans les Highlands, à poursuivre l’expérimentation.
L’arrivée, en 1995, du maître distillateur Bill Lumsden (60 % des arômes proviennent de la barrique, selon lui) accélère le processus, et l’année suivante voit l’apparition de la gamme Wood Finish Range, laquelle propose trois sortes d’affinage : en fûts de xérès (jerez en espagnol, sherry en anglais), de porto ou bien de madère. Entretemps, Balvenie leur emboîte le pas avec son expression Double Wood. L’histoire du « finish » est lancée…
DES NOUVEAUTÉS EN CASCADE
Aujourd’hui, cette tendance à la double maturation s’est développée. Il suffit de regarder les nouveautés sorties pour les fêtes de fin d’année pour s’en convaincre. Jura délivre son Two-One-Two (une édition limitée à 1 000 exemplaires pour la France), dont la particularité est d’être passée dans des inhabituels fûts neufs de chêne américain chinkapin. Et, pour la première fois de son histoire, l’orcadienne Highland Park a dévoilé, il y a quelques mois, son single malt issu d’un vieillissement en fûts de bourbon de premier remplissage, puis en barriques de vins espagnols issus de la Rioja : Twisted Tattoo. Une liste loin d’être exhaustive. Pour en finir avec les insulaires, la distillerie Arran présente The Bodega (65 €), une eaude-vie vieillie dans des fûts de sherry pendant sept ans – soit un retour à un certain classicisme pour la distillerie, coutumière des choix de finish novateurs dans des barriques de margaux, de Sassicaia (le plus fameux domaine de Toscane), de marsala (vin muté de Sicile), ou encore d’Amarone della Valpolicella (vin de paille rouge sec de la région de Vérone)…
Le finish n’est pas seulement la tentation d’une île : les Highlands ou le Speyside excellent également en la matière. En atteste un single malt affiné en fûts de whisky tourbé, le Old Pulteney Huddart, produit dans l’extrême nord de l’Ecosse par une distillerie reconstruite en 1958 après une période de déshérence due à l’effet combiné de la crise économique et
de la prohibition. Citons encore le rare Edradour
11 ans 2008, affiné dans un fût de rhum jamaïcain, ou le Glenmorangie Nectar d’or, vieilli douze ans dans des fûts de sauternes sélectionnés individuellement. Et, mondialisation oblige, saluons encore ce rêve de collectionneur : le taïwanais Kavalan Vinho Barrique (issu d’un unique fût ayant contenu du vin, production limitée à 170 bouteilles).
Venons-en maintenant à la question qui fâche : le finish apportet-il réellement un plus en matière de complexité et de finesse ou ne constitue-t-il qu’une astuce marketing ? Réponse à la normande : oui… mais non, c’est selon. Du côté des linéaires, la finition permet de multiplier les références, notamment pour les distilleries qui, faute de stocks, valorisent uniquement un 12 et un 18 ans. En offrant des combinaisons variables à l’infini, des passages dans des fûts d’obédiences diverses remplument d’un coup de baguette magique une gamme un peu maigrichonne. En revanche, un mauvais dosage ou encore un choix contestable de bois dénaturent le goût du whisky. Comme les amateurs ont pu le constater avec l’utilisation mal maîtrisée de fûts de vin rouge, dont les puissants tannins se sont révélés néfastes pour le distillat d’origine. « La finition est une arme à double tranchant, elle accélère la complexité, mais elle peut aussi la détruire. Il faut surveiller l’évolution comme le lait sur le feu, notamment sur la durée de l’affinage et sur l’origine des barriques », confirme Olivier Dumont, directeur technique de la maison Bellevoye, qui produit des whiskys français vieillis notamment en fûts de sauternes ou de vieille prune.
Si le fût de sherry a longtemps incarné l’orthodoxie en matière de « supplétif » au fût de bourbon, avant de laisser libre cours au porto, au rhum, voire au calvados, le champ des possibles s’élargit encore grâce au Scotch Whisky Act, dont les instances ont autorisé l’introduction d’autres catégories de fûts de chêne, à l’exception toutefois de ceux ayant servi à l’élevage de vins, de bières et de spiritueux produits à base de drupes (des fruits charnus à noyau, comme la cerise, l’abricot ou la prune). Ce qui ouvre désormais la porte aux barriques dans lesquelles se sont prélassés genièvre ou mezcal añejo…
CES CHERS EXCÈS DU FÛT DE XÉRÈS
« Le sherry était très recherché car, combiné à la tourbe, il offrait plus de rondeur et de boisé, souligne Didier Ghorbanzadeh, expert en spiritueux et auteur du tout récent Nuancier des alcools (Flammarion). Le vin est devenu à la mode depuis que les barriques de xérès se montrent plus difficiles à obtenir, une nouvelle réglementation ayant fait exploser leur prix, autour de 1 000 euros l’unité. Si l’usage de futailles d’autres provenances est loin d’être une affaire terminée, la prochaine révolution se jouera sur la qualité et l’origine de l’orge, ce qui n’est rien d’autre qu’un retour à la matière première. »
« Un finish reste l’occasion de tirer son épingle du jeu face à la concurrence », affirme pour sa part Jérôme Kaftandjian, brand ambassador de Glenfiddich France. La distillerie de Dufftown pratique de nombreuses expérimentations qui débouchent souvent sur des cuvées remarquables comme le Winter Storm, un whisky de 21 ans ayant séjourné six mois dans des fûts de vin de glace canadien avant d’être mis en bouteilles. Autre innovation : l’IPA Experiment, le premier single malt affiné dans des tonneaux de bière artisanale produite dans le Speyside. « Pour le dernier-né de la gamme Experiment, le Grand Cru, Brian Kinsman, notre maître de chai, a sélectionné des eaux-de-vie de 23 ans vieillies en bourbon et en sherry qu’il a finies dans des fûts de chêne français de vins issus de la région champenoise. Encore une première, mais nous avons d’autres projets en cours », conclut Jérôme Kaftandjian. Des projets évidemment « secret-défense ». Faire fûts de tous bois, certes, mais en silence. Avant de créer la surprise.