ÇA PÉTILLE DU RHIN À LA MARNE
Beaucoup de maisons portent des noms à consonance germanique. Témoignage de l’attrait que la région exerça sur ces Allemands qui voulaient se faire un nom en Champagne.
De la fin du premier Empire à 1840, l’entente avec nos voisins d’outre-Rhin est cordiale. Des Allemands, attirés par la prospérité de la Champagne, décident d’y investir. Comme les frères Mumm, qui montent, en 1827, une activité de négoce de vins à Reims. Vingt-cinq ans après, l’un de leurs fils, Georges Hermann (G. H.) Mumm donne son nom à la maison, qui rayonne rapidement à travers le monde, grâce à son fameux Cordon rouge, clin d’oeil à la Légion d’honneur française. Le succès est foudroyant – plus de 2,5 millions de bouteilles vendues en 1900. Mais, quand la Première Guerre mondiale éclate, la famille Mumm se retrouve malgré elle dans le mauvais camp : l’entreprise est mise sous séquestre, puis vendue en 1920. Elle appartient, de nos jours, au groupe Pernod-Ricard. Les Heidsieck furent plus chanceux. Fils d’un pasteur protestant de Westphalie, Florens-Louis Heidsieck, drapier de son état installé à Reims, réalise sa première cuvée en néophyte, durant l’automne 1780. Il fonde, dans la foulée, une maison de négoce. A sa mort, en 1828, son neveu Christian marche dans ses pas, prend la direction de l’entreprise et, assez vite, celle du cimetière. Sa veuve convola en secondes noces avec son associé, Henri-Guillaume Piper. Un Prussien. Tandis que Charles-Camille, le fils d’un autre neveu marié, lui, avec une demoiselle Henriot, crée sa maison en 1851. Des ventes, mariages, scissions et associations diverses qui suivirent subsistent aujourd’hui trois marques de champagne : les renommées Piper-Heidsieck et Charles Heidsieck acquises en 2011 par la famille Descours (J.M. Weston, Bonpoint…), et Heidsieck & Co Monopole, propriété du groupe Vranken.
PRESTIGE INTERNATIONAL
Fins commerciaux et souvent polyglottes, plusieurs jeunes Allemands ont travaillé pour des négociants français avant de monter leur propre affaire. Comme Joseph Jacob Bollinger, arrivé de son Wurtemberg natal à l’âge de 20 ans, pour vendre les flacons de
Müller-Ruinart en Europe du Nord. En 1829, avec Paul Renaudin et le comte Athanase de Villermont, propriétaire d’un vignoble, il crée la société Renaudin Bollinger et Cie. Histoire de sceller l’association, il épouse la fille du comte. Bollinger est l’une des dernières grandes maisons familiales, avec Roederer et Taittinger. La comparaison s’arrête là, car ces deux autres fleurons de la bulle furent respectivement fondés par un Alsacien et un Lorrain.
C’est Jacquesson & Fils qui recruta comme chef de cave Johann-Joseph Krug, né en 1800, dans une Mayence alors chef-lieu de département français. Le brillant Teuton ne tarda pas à produire du vin mousseux à son nom. Tombée dans le giron de LVMH, en 1999, pour 1 milliard de francs (150 millions d’euros), la maison est encore codirigée par un Krug, Olivier.
On pourrait aussi évoquer le rôle que joua le Prussien Mathieu Edouard Werlé auprès de Mme Clicquot, à qui il succéda en 1841. Ou comment Wilhelm Deutz, d’Aix-la-Chapelle, créa sa maison, en 1838, à Aÿ, après son passage chez Bollinger. Mis à part Mumm, toutes ces familles, en devenant champenoises, ont épousé la France et participent depuis à son prestige international, qui prend, parfois, la forme d’une bouteille de champagne…