« De plus en plus d’enfants obnubilés par les risques de pollution, de déforestation, voire d’extinction de la planète »
Réchauffement climatique, espèces menacées, baisse des ressources en eau… Nos enfants ont de quoi broyer du noir. Des spécialistes alertent quant à la façon dont les informations leur sont présentées.
L’été dernier, en pleine canicule, la chanteuse belge Angèle, idole des enfants et des adolescents, improvise un morceau en forme de plaidoyer pour la planète. « J’ai lu un article pas très cool, j’aimerais pouvoir l’oublier / Ça m’a foutu tellement les boules, je veux pas lire jusqu’au bout / On est dans la merde jusqu’au cou, c’est fou comme on a su oublier », chantonne-t-elle. Un mois plus tôt, Lucie Lucas, héroïne de la série familiale Clem, déclarait dans l’émission Complément d’enquête : « Je pars du principe que, peut-être, mes enfants n’atteindront pas leur majorité. […] C’est normal de ne pas être en sécurité totale, de ne pas se dire “j'ai au moins cinquante ans devant moi” ? Non, en fait, on n’en sait rien. » Les voilà prévenus. Sans doute leur lit-elle le soir de belles histoires pour s’endormir. Comme celle, publiée par les éditions NuiNui, de Polaire l’ours solitaire, qui cherche partout sa maman, victime de la fonte des glaces ? Attention, cauchemars en vue !
Quel impact ce type de discours peut-il avoir sur des citoyens en devenir ? Ne sommes-nous pas en train de faire de nos enfants de futurs accros au Prozac ? Ne risquent-ils pas de passer par l’épisode dépressif qu’a connu à 11 ans l’égérie de la cause écologique Greta Thunberg après le visionnage d’un documentaire sur le dérèglement climatique ? Dans son cabinet du VIIIe arrondissement de Paris, le pédopsychiatre Stéphane Clerget (1) voit défiler de plus en plus de petits patients obnubilés par les risques de « pollution », de « déforestation », voire d'«extinction de la planète ». « L’enfant anxieux utilise différents supports à son angoisse, ces derniers varient selon les périodes, explique le médecin. Il y a quatre ans, c’était plutôt les attentats. Aujourd’hui, ce sont les questions environnementales qui occupent le devant de la scène et cristallisent les peurs », plus particulièrement quand, vers 6-7 ans, on prend véritablement conscience du caractère inéluctable de la fin de la vie. Les enfants sont également plus sensibles que leurs aînés aux thèmes de la nature, des plantes, des animaux. « Sans doute parce qu’à travers la cause animale ils ont la possibilité de prendre soin d’êtres plus fragiles qu’eux. Ils se sentent emplis d’une mission de protection parfois lourde à porter », poursuit Stéphane Clerget.
IMPUISSANCE FACE À LA MENACE
C’est bien connu, les enfants sont des éponges qui absorbent les préoccupations véhiculées par les médias, mais aussi par les parents, la baby-sitter, l’enseignant, les animateurs, les grands frères et soeurs. Or, en octobre 2018, un sondage Ifop évaluait à 85 % la proportion de Français inquiets du réchauffement climatique. Huit points de plus qu’en 2015. Chez les 18-24 ans, ce taux culminait à 93 %. François Chauchot, psychiatre libéral et praticien attaché à l’hôpital Sainte-Anne, confirme cette tendance, observée chez les adolescents et les jeunes adultes qu’il reçoit. « Si cette inquiétude devient anxiogène, voire dépressogène, c’est souvent parce qu’ils se sentent impuissants face à
une menace diffuse qui leur échappe. L’eau, l’air, les aliments…, tout ce qui les entoure est susceptible de porter atteinte à leur santé et les rend vulnérables », explique-t-il. Le spécialiste ne voit rien d’étonnant à ce que cela commence à toucher des enfants de plus en plus jeunes. La mère de Rosa, 9 ans, est loin d’être une adepte de la collapsologie – courant de pensée annonçant un effondrement systémique planétaire et imminent. Quelle ne fut pas sa surprise lorsque, se livrant au petit jeu classique du « Quelle vie auras-tu en 2040 ? », elle a vu sa fille froncer les sourcils et lui répondre, les larmes aux yeux : « Je ne veux pas parler de 2040. A ce moment-là, toutes les villes seront aussi polluées que Tokyo, il y a aura plein de catastrophes écologiques. Je veux rester comme maintenant. » Dans l’école de Rosa, des élèves délégués écoresponsables ont été nommés pour vérifier que chaque petit camarade a bien une attitude irréprochable en la matière.
TROUVER LA BONNE APPROCHE À L’ÉCOLE
Il est légitime de s’interroger sur l’efficacité d’une telle initiative prise dans le cadre scolaire. D’autant que l’approche pédagogique générale de ces questions liées à l’environnement n’a pas fait, jusqu’ici, l’objet de réflexions très poussées. Et elle varie fortement en fonction des écoles, des enseignants, des éventuels intervenants extérieurs. Charlotte, 10 ans, garde un souvenir mi-inquiet, mi-amusé de ce responsable associatif venu les sensibiliser au sort de la planète en début d’année. « Il nous a expliqué qu’un enfant meurt de soif dans le monde toutes les trente minutes. Et aussi que certains méchants électrocutent les poissons pour les pêcher plus facilement. C’est horrible ! », se souvient-elle. Face à un élève un peu trop dissipé, le fameux intervenant s’est exclamé : « On ne rigole pas avec ça. C’est très grave, ce qui se passe dans le monde. Il serait temps que vous vous en rendiez compte ! »
Tous les cours donnés sur le sujet ne sont pas aussi glaçants, loin de là. Joëlle Lefort, qui exerce dans une école élémentaire de Creil, dans l’Oise, a choisi une tout autre approche, privilégiant la pratique et le contact direct avec la nature. Elle fait travailler ses élèves sur les abeilles, ou les emmène ramasser des châtaignes en forêt. Cette enseignante fait partie du collectif Savanturiers, dont l’un des principes consiste à placer les élèves en position de chercheurs. « Je les encourage à se poser des questions sur les climats ou la glaciologie, à chercher des informations, à émettre des hypothèses, à mettre en place des protocoles expérimentaux, de façon à les rendre acteurs », explique-t-elle. On ne compte plus le nombre d’enfants qui, encouragés par leur professeur des écoles, transmettent la bonne parole à leurs parents et n’hésitent pas à traquer leurs gestes pas très « écolo-compatibles ». Gare à celui qui jette des piles à la poubelle, multiplie les bouteilles en plastique au lieu d’acheter une gourde, ou laisse le robinet d’eau ouvert quand il se brosse les dents ! « Gamins, on avait l’habitude d’entendre nos parents crier “C’est pas Versailles ici !” quand on laissait des lampes allumées pour rien.
GARE AU PARENT QUI LAISSE LE ROBINETOUVERT OU QUI JETTE LES PILES À LA POUBELLE !
Maintenant, ce sont nos enfants qui s’y mettent », s’amuse ce quadragénaire parisien.
Autant d’attitudes pas si anodines que ça. « Ces petits gestes, qui peuvent paraître un peu obsessionnels, sont une bonne façon de lutter contre ses angoisses », décrypte Stéphane Clerget. La plupart des spécialistes sont unanimes : face à un enfant qui frôle le burn-out écologique ou la dépression verte, l’idéal est d’évoquer avec lui les solutions, de l’inciter à agir à sa mesure. « L’enfant a tendance à se laisser envahir par des discours à l’échelle de la planète. Rien de plus paralysant. Il faut le ramener à des actions possibles à l’échelle de son pays, ou même de sa ville, de sa rue, voire de son appartement », propose le médecin.
C’est l’occasion de l’encourager à se cultiver en allant voir des expositions sur les animaux, en lui inculquant des notions de cosmologie, en l’informant sur les dernières découvertes encourageantes en matière d’énergies renouvelables. Po-si-ti-ver. Voilà la clef. « En France, on tombe trop facilement dans cet écueil de l’écologie punitive et culpabilisatrice. Pourquoi ne pas évoquer, plutôt, les nouveaux métiers liés à l’environnement qui s’ouvriront aux plus jeunes ? », suggère encore Alice Desbiolles, médecin spécialisée en santé environnementale. Jacques Lecomte (2), docteur en psychologie et membre du conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot, a beaucoup travaillé sur l’impact des différents modes de communication environnementale. Pour lui, le discours de Greta Thunberg au Forum de Davos, en janvier dernier – « Je veux que vous ressentiez la peur que j’éprouve chaque jour. Et ensuite, je veux que vous agissiez » – est contre-productif. « Son intention est bonne, sa sincérité, incontestable. Mais les études ont démontré que les messages par la peur son souvent inefficaces », analyse-t-il, en prenant l’exemple des photos de poumons noircis sur les paquets de cigarettes barrés de la mention « fumer tue ». Par un phénomène de déni psychologique, ils produisent l’effet inverse de celui recherché.
Ultime paradoxe, avancé par Jacques Lecomte : « Greta Thunberg doit sa notoriété aux nouvelles technologies. Dans les années 19701980, sans les réseaux sociaux, elle n’aurait certainement pas connu la même. » Aujourd’hui, 9 préados (12-14 ans) sur 10 possèdent déjà un smartphone. Or,comme le démontre l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, tout au long de son cycle d’existence (de l’extraction des matières premières à sa fin de vie, en passant par sa fabrication, son transport et son utilisation), un smartphone a des impacts environnementaux, sociaux et sanitaires terribles et irréversibles. Mais, chut ! cette information risquerait de dégoûter à jamais nos enfants d’en posséder un… ou pas ?