L'Express (France)

Le Brexit en cache-t-il un autre ?

L’Allemagne prend de plus en plus ses distances à l’égard de la France. Une ligne qui pourrait être difficile à tenir pour ce partenaire historique au sein de l’Union européenne, analyse l’expert économique Antoine Santoni.

- Propos recueillis par Claire Chartier

Entre l’Allemagne et la France, c’est un peu la dérive des continents. Le pays d’Angela Merkel ne pourra pourtant pas continuer longtemps à tracer seul son chemin, estime Antoine Santoni, fraîchemen­t honoré du prix EdgarFaure de l’oeuvre engagée pour son essai Le Brexit franco-allemand, mythe ou réalité (Ramsay).

l’express Vous parlez de « Brexit » franco-allemand, le terme est très fort. Nous en sommes vraiment là ?

Antoine Santoni Je voulais montrer par ce titre que la situation est arrivée à un point critique. Depuis l’ère Kohl-Mitterrand, il n’y a plus de grand projet francoalle­mand ni de vision commune de la constructi­on européenne. Après la chute du mur de Berlin, l’Allemagne a considéré qu’elle avait moins besoin de la France. Lorsqu’elle a décidé d’abandonner le nucléaire et, plus récemment, d’ouvrir grand ses portes aux migrants, elle n’a pas consulté Paris – ni personne, d’ailleurs. Angela Merkel « gère » bien, mais nous avons besoin de femmes et d’hommes d’Etat, pas de gestionnai­res discutant des dossiers à la façon de copropriét­aires.

Les divergence­s entre la France et l’Allemagne ne sont pas nouvelles…

A. S. Certes, mais le contexte actuel rend la situation inédite. Sur le plan économique, nous n’avons jamais connu une aussi longue période de prêts à taux négatifs avec zéro inflation, ni de rachats de dettes aussi volumineux par la Banque centrale européenne [BCE]. Nous vivons en terre inconnue, avec un système bancaire et d’assurances affaibli qui peut déboucher demain sur une crise majeure. La BCE a fait tout ce qu’elle a pu pour compenser le manque de coordinati­on au sein de l’UE en termes de politique budgétaire et monétaire, mais elle ne peut guère aller plus loin. Or les Allemands restent encore sourds à la finalisati­on de l’euro, refusant toujours la création d’un budget commun ou tout autre outil approprié à un environnem­ent économique différent. Ils s’arriment à la règle européenne des 3 % de déficit public, pour argumenter que les Français, moins rigoureux côté finances, ne sont pas dignes de leur confiance.

Sur le plan militaire aussi, l’Allemagne semble faire cavalier seul…

A. S. Dans le domaine de l’armement, où la succession du Rafale et celle du char Leclerc – respective­ment sous direction française et allemande – doivent être assurées dans les prochaines années, l’Allemagne a rompu nombre de contrats avec la France et, de surcroît, elle semble jouer un double jeu : elle n’entend pas vraiment affaiblir le lien transatlan­tique pour la bonne raison qu’elle ambitionne de devenir le fournisseu­r des armées européenne­s via des standards de technologi­es de défense ancrés dans l’accord de coopératio­n de l’Otan dit « nation-cadre ».

Une inflexion est-elle possible ?

A. S. Je le crois. La CDU se droitise face à la montée de l’AfD [extrême droite], particuliè­rement dans l’ex-RDA. Or le tendon d’Achille de l’Allemagne, c’est l’image qu’elle donne d’elle-même. Aucun véritable changement n’est à attendre d’ici à un an, car Angela Merkel doit finir son mandat en paix et, si elle s’avisait de relâcher l’étau budgétaire au niveau européen, ses électeurs le lui reprochera­ient. En revanche, je pense que les Verts peuvent rebattre les cartes. Ils ne sont pas liés comme la CDU à l’industrie et sont plus enclins à adopter une vision transnatio­nale. Ajoutons à cela que l’économie allemande s’essouffle et qu’une relance à la façon keynésienn­e semble inévitable. L’Allemagne, souvent « donneuse de leçons », n’aura pas d’autre choix que d’assouplir bien des dogmes en avançant sur la coordinati­on politique, budgétaire et monétaire de la zone euro. A plus forte raison avec le départ programmé des Britanniqu­es, qui nous préparent un « Singapour-sur-Thames », autrement dit, un paradis fiscal aux portes de Dunkerque.

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Coopératio­n L’Allemagne joue sa carte militaire, constate l’économiste.

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