TORRENTIUS
Qui connaît Johannes van der Beeck, alias Torrentius (15891644), peintre flamand du xviie siècle tombé dans l’oubli ? Qui sait que ce contemporain de Rembrandt fut « l’un des artistes les plus en vue des Provinces-Unies » ? Grâces soient rendues à l’écrivain suisse Colin Thibert de réhabiliter ce peintre de génie, dont les natures mortes singulières (sans fleurs ni animaux) témoignaient d’une virtuosité rarement égalée. Le roi Charles Ier d’Angleterre, grand amateur d’art, ne s’y trompera pas et mandatera son ambassadeur pour lui passer commande. Mais Torrentius est aussi un hédoniste hâbleur aux moeurs dissolues, avec un fort penchant pour la boisson et la gent féminine. Provocateur, vêtu d’atours ostentatoires, il fait commerce, sous le manteau, de ses gravures licencieuses, très prisées pour leur « détonnant mélange d’érotisme et de précision anatomique ». De quoi alerter les autorités calvinistes, à commencer par Velsaert, le nouveau bailli de Haarlem, austère prédicant « pétri de vertu » ; un « fanatique obstiné », bien décidé à en découdre avec ce « coq arrogant », ce « libertin notoire ». Torrentius écopera donc d’un procès pour « obscénité, blasphème, apostasie », avec tortures à la clef. Pire, Velsaert ordonne l’autodafé de son oeuvre. Esquisses, dessins, carnets… C’est toute
« une vie d’étude et de travail » qui part en fumée. N’en reste aujourd’hui qu’un seul tableau, Nature morte avec bride et mors, conservé au Rijksmuseum, à Amsterdam, précise Colin Thibert à la fin de ce bref mais formidable roman. Sa plume aussi élégante qu’énergique, volontiers irrévérencieuse, fait revivre en majesté l’artiste maudit, pourtant hors normes, véritable « magicien » des formes et du rendu des matières. Avec ce portrait haut en couleur, et en douleur, l’écrivain rend à son modèle le plus bel hommage qui soit.