L'Express (France)

TORRENTIUS

- D. P. par Colin Thibert. Éd. Héloïse d’Ormesson, 128 p., 15 €.

Qui connaît Johannes van der Beeck, alias Torrentius (15891644), peintre flamand du xviie siècle tombé dans l’oubli ? Qui sait que ce contempora­in de Rembrandt fut « l’un des artistes les plus en vue des Provinces-Unies » ? Grâces soient rendues à l’écrivain suisse Colin Thibert de réhabilite­r ce peintre de génie, dont les natures mortes singulière­s (sans fleurs ni animaux) témoignaie­nt d’une virtuosité rarement égalée. Le roi Charles Ier d’Angleterre, grand amateur d’art, ne s’y trompera pas et mandatera son ambassadeu­r pour lui passer commande. Mais Torrentius est aussi un hédoniste hâbleur aux moeurs dissolues, avec un fort penchant pour la boisson et la gent féminine. Provocateu­r, vêtu d’atours ostentatoi­res, il fait commerce, sous le manteau, de ses gravures licencieus­es, très prisées pour leur « détonnant mélange d’érotisme et de précision anatomique ». De quoi alerter les autorités calviniste­s, à commencer par Velsaert, le nouveau bailli de Haarlem, austère prédicant « pétri de vertu » ; un « fanatique obstiné », bien décidé à en découdre avec ce « coq arrogant », ce « libertin notoire ». Torrentius écopera donc d’un procès pour « obscénité, blasphème, apostasie », avec tortures à la clef. Pire, Velsaert ordonne l’autodafé de son oeuvre. Esquisses, dessins, carnets… C’est toute

« une vie d’étude et de travail » qui part en fumée. N’en reste aujourd’hui qu’un seul tableau, Nature morte avec bride et mors, conservé au Rijksmuseu­m, à Amsterdam, précise Colin Thibert à la fin de ce bref mais formidable roman. Sa plume aussi élégante qu’énergique, volontiers irrévérenc­ieuse, fait revivre en majesté l’artiste maudit, pourtant hors normes, véritable « magicien » des formes et du rendu des matières. Avec ce portrait haut en couleur, et en douleur, l’écrivain rend à son modèle le plus bel hommage qui soit.

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