L'Express (France)

Simone Veil dans les camps de la mort

- LE MAKING OF M. P.

Mars 1979 : Simone Veil participe, lumineuse, à un numéro des Dossiers de l’écran sur la déportatio­n. David Teboul, 12 ans, regarde, hypnotisé, la ministre de la Santé d’alors parler sans tabou de l’effroyable quotidien des détenus d’Auschwitz-Birkenau. En 2003, devenu cinéaste, il n’a qu’une idée en tête : faire un film sur celle qui lui « a permis de devenir pleinement juif et français ». Il lui écrit une fois, deux fois, trois fois, l’appelle, sans succès. Rappelle. Finit par obtenir un rendez-vous pour le lendemain matin, à 8 h 30. « Bizarremen­t, j’étais persuadé qu’elle allait accepter mon idée de film, se souvient David Teboul. Elle est arrivée très en retard, un peu redevable, donc, c’était ma chance. Je lui parle de son chignon, elle est ébranlée car, me raconte-t-elle, le fait qu’aucune femme de son convoi n’ait été complèteme­nt rasée avait revêtu une grande importance. On discute, comme cela, durant trois heures. » Ils ne vont plus jamais se perdre de vue, jusqu’à déjeuner, souvent, ensemble. « Je l’emmenais dans des chinois ou des bouis-bouis où elle n’avait pas l’habitude d’aller, elle m’invitait chez Lipp. »

Cette confiance mutuelle débouche sur un film, Simone Veil, une histoire française, en 2004. Un 52-minutes, avec Simone Veil, bien sûr, mais aussi riche d’images du retour à Auschwitz, où elle accepte pour la première fois d’entrer dans les baraquemen­ts. Riche aussi de multiples intervenan­ts, dont Denise, sa soeur aînée, résistante déportée, Marceline Loridan-Ivens, son amie de Birkenau, avec laquelle elle s’adonne à un merveilleu­x échange décousu, et Paul Schaffer, détenu, comme elle, à Bobrek en juillet 1944. A ce film vient donc s’ajouter, quinze ans plus tard, un passionnan­t livre « à la première personne » dûment illustré de photos, de famille ou tirées du film, né de plus de cinquante heures d’entretien. « Simone m’avait dit, “promettez-moi que vous ferez quelque chose de tout cela” », explique l’auteur. David Teboul a tenu sa promesse. « Nos conversati­ons ressemblai­ent un peu à des séances de psy, au cours desquelles il était toujours question de camps. Simone Veil m’a fait ce cadeau, je ne voulais pas le garder pour moi. »

David Teboul intervient très peu dans le cours du livre, l’essentiel est la voix de Simone Veil qui surgit intacte, limpide, directe, sincère. Elle raconte sa jeunesse à Nice, son arrestatio­n, à 16 ans et demi, le train pour Drancy avec sa soeur Milou et sa mère tant aimée, et, le 13 avril 1944, le convoi pour Auschwitz-Birkenau. Elle décrit tout, sans pathos : le tatouage (« Cette mise en scène signifiait notre exclusion »), l’horreur dans les blocks, la fatigue au travail, l’odeur des corps qui brûlent, le typhus, la dysenterie et la faim, sa mère, malade, au courage et au moral formidable­s (et qui mourra à Bergen-Belsen), le sentiment d’être passée de l’autre côté de l’être humain. Un témoignage précieux, à lire de toute urgence.

SIMONE VEIL. L’AUBE À BIRKENAU récit recueilli par David Teboul. Les Arènes, 288 p., 20 €. 18/20

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