À CRIER DANS LES RUINES
Inédite dans l’histoire de l’humanité, la catastrophe de Tchernobyl reste un fécond sujet de fictions. Outre la fameuse série diffusée sur OCS, on pense à La Nuit tombée
(la Fosse aux ours), beau roman d’Antoine Choplin, à 86, année blanche (Liana Levi), de Lucile Bordes, ou encore aux polars
Zone d’anomalie (Michel Lafon), d’Andriy Kokotukha, et De bonnes raisons de mourir (Albin Michel), de Morgan Audic. Le premier roman d’Alexandra Koszelyk, lui, s’attache au sort de Lena, née en 1973 à Pripiat, ville ukrainienne « modèle » construite par les Soviétiques à 10 kilomètres de Tchernobyl pour les employés de la centrale. Bien que ses parents soient d’« éminents scientifiques », la fillette se lie d’amitié avec un fils de paysans de son âge, Ivan. Une amitié si fusionnelle que leurs camarades les appellent
« les inséparables ». Jusqu’à cette explosion funeste du réacteur 4, dans la nuit du 26 avril 1986. La famille de Lena s’exile aussitôt en France, pour s’installer près de Cherbourg, et l’adolescente perd tout contact avec Ivan, qu’elle croit mort. Etudiante à Paris, puis professeure à la Sorbonne, Lena trace sa route sans faillir, mais son exil reste une « cicatrice ». La trentaine venue, elle se décide enfin à revenir dans sa ville natale, devenue un « tombeau à ciel ouvert », sur les traces de celui qui hante ses souvenirs. A crier dans les ruines, titre emprunté à un poème d’Aragon, prend opportunément prétexte du récit de ce destin singulier pour revenir sur une tragédie collective longtemps cadenassée par l’omerta – les hommes transformés en torches humaines, les milliers de morts, les légumes irradiés, les bêtes nourries à l’herbe contaminée, etc. Malgré quelques lourdeurs et tics d’écriture, Alexandra Koszelyk évoque aussi avec force la nature qui reprend ses droits et les coeurs qui continuent de battre à l’unisson. Envers et contre tout.