« PASSE-MOI LE CHAMPAGNE, J’AI UN CHAT DANS LA GORGE »
Dans ce mondelà, l’apocalypse, c’est Catherine Deneuve qui reste coincée dans un ascenseur la menant à un défilé. Sinon, tout va bien. Bienvenue en Champagnie, ce petit monde de fashionistas où les bulles bercent votre vie le long des podiums de mode. Depuis des années, Loïc Prigent, un ancien de Libération et de Canal +, compile les phrases entendues en marge des défilés. Son premier volume, J’adore la mode, mais c’est tout ce que je déteste (Grasset), s’était écoulé à 80 000 exemplaires (poche compris) en 2016. La moisson des saisons 2018 et 2019 vaut aussi son pesant de cacahuètes (bio). Il y a la déconnectée :
« J’ai mis l’appartement sur Airbnb. Tu crois que j’enlève le Chagall ? » La géopolitique :
« Vu le nombre de colliers à 100 000 qu’on vend en Chine, je dis vive le communisme. » La langue de pute : « Ce sont des chaussures extrêmement belles, mais qu’on devrait livrer avec des béquilles. » Certains sont même profonds par superficialité : « On voulait changer le monde, vous voulez le code du WiFi. » Ou encore : « J’ai deux rendezvous dont deux ennuyeux. » Comme l’écrit fort justement Loïc Prigent, ces rédactrices de mode, attachés de presse, stylistes et clientes fortunées sont des « artistes du bon mot involontaire ». Un univers inventif par indécence, dont les dieux sont « Karl »,
« Kate », « Anna » ou « Gisele », et pour lequel la « vraie vie » s’appelle Instagram. « J’aime pas trop le risotto, ça s’instagramme mal », soupire un convive. Il y a vingt ans, sur le même principe, JeanMarie Gourio triomphait avec ses Brèves de comptoir, compilation de mots poétiques ou absurdes glanés autour d’un Ricard dans les bistrots. Aujourd’hui, avec les « brèves de podium » de Prigent, c’est le luxe, la mode et le champagne qui fascinent. Signe des temps ?