Donald Trump s’invite dans le casse-tête israélien
Alors que l’Etat hébreu est toujours dans une impasse politique, Washington ne considère plus les colonies dans les Territoires occupés comme illégales. Un cadeau à Netanyahou, inculpé par la justice.
L’échec était prévisible. Tout comme le Premier ministre sortant, Benyamin Netanyahou, avant lui, Benny Gantz, chef du parti centriste Bleu Blanc, n’a pas réussi à former de gouvernement en Israël. Le 20 novembre, dans la soirée, l’ancien chef d’état-major de l’armée a rendu son mandat au président, Reuven Rivlin. Pour sortir de cette impasse inédite, ce dernier a demandé au Parlement de lui proposer des noms susceptibles d’obtenir une majorité d’au moins 61 députés. Si aucune personnalité ne s’impose, les Israéliens retourneront aux urnes au printemps 2020. Pour la troisième fois en un an… Un événement change toutefois la donne : le 21 novembre, après des mois de suspense, la justice a fini par inculper Netanyahou pour corruption, fraude et abus de confiance dans plusieurs affaires. Pourra-t-il rester en fonction sous la pression ?
C’est le moment que Washington a choisi pour annoncer un changement spectaculaire de sa politique. Deux jours avant l’échec attendu de Gantz, le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, a déclaré que les Etats-Unis ne considéraient plus les colonies israéliennes en Cisjordanie comme étant contraires au droit international, alors que ces occupations sont jugées illégales par l’ONU et par une grande partie de la communauté internationale. Benyamin Netanyahou a aussitôt salué la nouvelle position des Etats-Unis. Elle est « le reflet d’une vérité historique – les juifs ne sont pas des colonisateurs étrangers en Judée-Samarie [NDLR : le nom biblique utilisé par la droite israélienne pour désigner la Cisjordanie] », a déclaré le Premier ministre sortant.
UNE RUPTURE DIPLOMATIQUE
C’est une surprise, et, pourtant, cela n’a rien d’étonnant. Depuis sa prise de fonction, en janvier 2017, Donald Trump ne cesse d’afficher sa proximité avec son ami « Bibi » et d’infléchir la position américaine à l’égard du conflit israélo-palestinien. Quitte à rompre avec des décennies de consensus international, alors que Washington est un acteur historique de l’effort de paix entre les deux camps.
Cette annonce est un cadeau supplémentaire à la droite israélienne. Recevant Netanyahou à Washington, dès le 15 février 2017, Trump annonce qu’il n’est plus attaché à une solution à deux Etats, à savoir la création d’un Etat palestinien qui coexisterait avec Israël. Avant de se raviser. Le 6 décembre de la même année, le locataire de la Maison-Blanche reconnaît Jérusalem comme capitale d’Israël, au grand dam de la communauté internationale. Il accède à une demande ancienne de l’Etat hébreu, sans évoquer la revendication des Palestiniens sur le partage de la Ville sainte, dont une partie a été annexée en 1967, lors de la guerre des Six-Jours, gagnée par Israël. Cette annonce entraîne, le 14 mai 2018, le déménagement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, où s’installe un nouvel ambassadeur, David Friedman, favorable à la colonisation. Onze mois plus tard, dans le New York Times, ce faucon estime qu’Israël a le « droit » d’annexer « une partie » de la Cisjordanie occupée.
Le 25 mars 2019, avant les législativesisraéliennesd’avril,Donald Trump bafoue une nouvelle fois le droit international en décidant unilatéralement de reconnaître la souveraineté d’Israël sur le plateau syrien du Golan, un territoire stratégique annexé en 1981.
Le 10 septembre, le Premier ministre sortant promet, s’il remporte les nouvelles élections, d’annexer cette fois l’ensemble des colonies juives dans la vallée du Jourdain, qui représente 30 % de la Cisjordanie occupée. A l’époque, Pompeo refuse de dire si Washington s’opposerait à une éventuelle annexion.
Tous les gouvernements israéliens, qu’ils soient travaillistes ou du Likoud, ont poursuivi la colonisation des Territoires occupés, mais celui de Netanyahou, au pouvoir depuis plus de dix ans, l’a accélérée ces dernières années. En Cisjordanie, plus de 420 000 Israéliens vivent désormais dans des blocs de colonies, au milieu des villages palestiniens, souvent dans un climat de tension – ils sont plus de
200 000 à Jérusalem-Est.
Sans compter les implantations sauvages. Deux jours avant les élections de septembre, Netanyahou a donné le feu vert à la légalisation de la colonie de Meevot Yericho, dans la vallée du Jourdain.
Mike Pompeo a tenu à présenter la décision américaine comme un retour à l’interprétation du président
Ronald Reagan au début des années 1980, en rupture avec la politique de Barack Obama, accusé par la droite sioniste israélienne et américaine d’avoir freiné la colonisation. « La nouvelle position des Etats-Unis est une réaction au soutien tacite du président Obama à la résolution 2334 du Conseil de sécurité, qui définissait les colonies de peuplement israéliennes comme des “violations flagrantes” du droit international, et à la récente décision de la Cour de justice [de l’EU] concernant l’étiquetage illégal des produits des colonies », souligne Ofer Zalzberg, analyste à l’International Crisis Group, à Jérusalem. L’ONU, l’Union européenne, la France, le Royaume-Uni, la Russie, la Turquie ainsi que les pays arabes ont dénoncé la décision de
Washington et réaffirmé que la colonisation restait illégale. « Un changement dans la politique d’un Etat ne modifie pas le droit international existant, ni son interprétation par la Cour internationale de justice et le Conseil de sécurité [de l'ONU] », a souligné Rupert Colville, porte-parole du haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.
UN PROCESSUS EN BERNE
Quels en seront les effets ? « Il est peu probable que cette initiative change beaucoup sur le terrain, mais elle accélérera les processus en cours, décrypte Ofer Zalzberg : galvaniser les colons et les annexionnistes, tout en rendant pratiquement impossible pour les gouvernements palestiniens, arabes et européens de considérer les Etats-Unis comme un intermédiaire honnête entre Israël et les Palestiniens. » Le revirement américain éloigne un peu plus les chances de relancer le processus de paix. Elaboré dans le plus grand secret, le plan pour résoudre le conflit israélo-palestinien, présenté pendant la campagne de Trump comme le « deal du siècle », ne cesse d’être reporté, officiellement en raison du processus électoral en cours en Israël. Il n’en reste pas moins que Jason Greenblatt, l’un de ses principaux artisans, a démissionné en septembre. Seule sa partie économique a été dévoilée à Bahreïn, en juin. Mais la conférence a été boycottée par la partie palestinienne, qui rejette toute médiation de la part de cette administration jugée partiale.
Le calendrier de la déclaration de Pompeo n’est, bien sûr, pas anodin alors que le président américain, en campagne pour sa réélection, doit rassurer et consolider l’électorat de la droite évangélique. Son intérêt rejoint celui de Netanyahou : si un nouveau scrutin devait avoir lieu en Israël l’an prochain, ce dernier pourrait alors se prévaloir une nouvelle fois des coups de pouce de son ami Trump. A moins que sa mise en examen ne réduise à néant ces ambitions.
UN CHANGEMENT DANS LA POLITIQUE D’UN ÉTAT NE MODIFIE PAS LE DROIT INTERNATIONAL