Réforme des retraites : la RATP, locomotive du combat
A la veille du conflit du 5 décembre, qui s’annonce très suivi, salariés et direction fourbissent leurs armes. Le gouvernement est prêt à l’affrontement.
Porte de Clignancourt, dans le local austère et glacial de la RATP où les conducteurs de bus prennent un café entre deux roulements, les discussions sur la grève contre la réforme des retraites vont bon train. Une pile de tracts sous le bras, Olivier Terriot, délégué CGT bus, rêve d’une convergence des luttes et, dans cette annexe, les agents semblent déterminés à faire plus qu’une journée coup de poing. Un gobelet entre les mains pour se réchauffer, Stéphanie, conductrice de bus à Paris depuis dix ans, a fait ses comptes. « Je pourrai tenir quinze jours s’il le faut, et mon mari [lui aussi à la RATP], cinq jours », lance-t-elle. « Ça pose un problème financier, mais il faut se sacrifier », enchaîne Mehdi, prêt lui aussi à se serrer la ceinture. « D’habitude, je mets mon 13e mois sur un plan épargne, mais cette année je le mettrai dans la grève », soutient John. Les agents RATP touchent en effet leur 13e mois avec la paie de novembre. De quoi assurer ses arrières pour un conflit qui s’annonce musclé.
La réussite du mouvement du 13 septembre, lancé par l’Unsa (première organisation devant la CGT et la CFE-CGC), a galvanisé les troupes et a surpris au sein même des syndicats.
Une semaine plus tard, ils annonçaient une grève illimitée le 5 décembre, « le temps de laisser le gouvernement faire des propositions ». Las. Les réunions bilatérales de l’Unsa et de la CFE-CGC avec le secrétaire d’Etat chargé des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, n’ont rien donné (la CGT les a boycottées). Pis, elles ont agacé. Les syndicats ont fustigé une opération de communication. Tous dénoncent un dialogue de sourds. « On avait demandé des chiffres, des engagements, on n’a rien appris de plus que dans le rapport Delevoye », s’enflamme Frédéric Ruiz, délégué central CFE-CGC à la RATP. « La réunion s’est détendue quand Djebbari a évoqué une “clause du grand-père” [qui s’appliquerait uniquement aux nouvelles recrues], mais il ne pouvait pas s’engager et on a vite vu que cela mettait mal à l’aise les équipes de Jean-Paul Delevoye », affirme Thierry Babec, secrétaire général de l’Unsa RATP. Aucune organisation syndicale ne s’est rendue à la seconde réunion, le 21 novembre.
La retraite à la RATP, c’est un totem. « C’est presque identitaire, souffle un observateur. Avec la garantie de l’emploi à vie, c’est un peu tout ce qui leur reste. » Mais voilà. La mise en oeuvre du régime universel entérine la fin des régimes spéciaux, dont bénéficie la quasi-totalité des 45 000 salariés du groupe. La pénibilité sera prise en compte et des périodes de transition sont prévues. Mais ce serait la fin des départs anticipés, qui concernent 31 000 agents. Aujourd’hui, certains conducteurs peuvent encore partir à 52 ans s’ils ont vingt-sept ans de service. Mais beaucoup travaillent plus longtemps pour toucher une pension pleine. « Un employé qui part à 52 ans touche autour de 50 % de son salaire hors décote, alors qu’il en percevra 75 % s’il part à 62 ans », défend Thierry Babec. En moyenne, l’âge de départ est de 55,7 ans à la RATP, contre 63 ans dans le privé, tance tout de même la Cour des comptes.
LA BATAILLE DE L’OPINION
Plus que l’âge de départ, l’impact des nouvelles règles sur le niveau de pension inquiète les agents. Comme dans la fonction publique, leur retraite est fondée sur les six derniers mois de salaire (hors primes). Demain, elle serait calculée sur l’ensemble de leurs revenus. Les pensions pourraient chuter de 30 %, alertent les syndicats. Alarmistes ? « Nous ne sommes pas capables d’avoir de contre-arguments aux chiffres qui circulent aujourd’hui, car nous n’avons pas les éléments suffisants concernant le futur système », regrette-t-on au siège de l’entreprise.
Face à un mouvement qui s’annonce massif, l’entreprise s’organise : appels d’offres avec des opérateurs de trottinettes, de covoiturage, mobilisation de cadres pour conduire des RER et appels au volontariat pour informer les voyageurs le 5 décembre, mais aussi les 6, 9 et 10. Selon la direction, plusieurs centaines de salariés auraient déjà répondu favorablement.
La question est surtout d’évaluer combien de temps durera la grève. Au gouvernement comme dans le groupe, on s’attend à une semaine de blocage, au minimum. « Les grosses grèves à la RATP sont toujours en lien avec les retraites », prévient-on du côté de la direction. En 2007, lorsque Nicolas Sarkozy avait transformé le régime spécial des agents, les débrayages avaient duré une dizaine de jours. Mais, à cette époque, il y avait un projet de réforme précis sur la table et, surtout, l’entreprise avait la main. Là, dans le futur système universel, rien n’est encore défini, et les dirigeants de la RATP ne peuvent que « regarder le match » : cette réforme est d’abord celle d’Emmanuel Macron. D’où ce paradoxe : alors que le climat social interne est plutôt bon – neuf accords signés avec les syndicats cette année –, la RATP se prépare à un conflit dur. La sociologie des troupes a changé, les réseaux sociaux sont parfois plus efficaces pour mobiliser que les directives syndicales. « On met notre casque à pointe, on serre les dents, tout est possible ! » grince-t-on dans l’entourage de Catherine Guillouard, la PDG.
Si la situation tourne au vinaigre, la patronne de l’entreprise sera vite propulsée en première ligne. La récente hausse de 12,5 % de son salaire à l’occasion du renouvellement de son mandat met encore un peu plus d’huile sur le feu. Même si cette augmentation constitue un rattrapage par rapport aux rémunérations pour ce type de poste. Ce salaire a été validé en juillet par l’exécutif, qui reconnaît « un mauvais timing, voire une maladresse ».
En attendant le 5 décembre, le gouvernement cherche surtout à isoler le conflit. Le plan hôpital, le paiement des heures supplémentaires aux policiers… Tous ces gestes visent à contenir le mécontentement au seul secteur des transports. L’exécutif fait le pari de gagner l’opinion, persuadé que, contrairement à 1995, les Français ne soutiendront pas cette mobilisation corporatiste.