L'Express (France)

Les espions français replongent avec Palantir

Le contrat passé entre la DGSI et une start-up financée en partie par la CIA va être renouvelé, mais une solution technologi­que made in France pourrait bientôt voir le jour.

- Par Claire Hache et Emmanuel Paquette C. He et E. Pa.

Les célèbres « pierres de vision » du Seigneur des anneaux, les Palantiri, auraient sans doute prévu ce dénouement. La start-up américaine qui porte le nom d’un de ces globes magiques de l’oeuvre de J. R. R. Tolkien va renouveler son contrat avec la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) pour l’assister dans sa lutte contre le terrorisme. Selon nos informatio­ns, cette alliance, nouée pour trois ans quelques mois après les attentats du 13 novembre 2015, arrive à échéance d’ici à quelques semaines et doit être reconduite pour la même durée. Et ce, malgré les nombreuses critiques émises par des élus sur l’atteinte à la souveraine­té nationale concernant l’accès de Palantir à des données sensibles. Une décision pragmatiqu­e assumée par les autorités françaises : « Nous n’avons pas le choix. Nous prenons ce qui est sur le marché », commente une source haut placée, qui assure que cet outil permet à la France de déjouer des attaques terroriste­s. Créée en 2004, après les événements du 11 Septembre, l’entreprise californie­nne analyse des tombereaux de données numériques afin d’aider dans leurs décisions les services de renseignem­ent, les forces de l’ordre, mais aussi des entreprise­s privées, comme Airbus ou Merck. Financée à ses débuts par la CIA (pour 2 millions de dollars), elle s’est forgé une réputation en contribuan­t, paraît-il, à la traque d’Oussama ben Laden. Sa responsabi­lité a par ailleurs été pointée du doigt pour avoir aidé le gouverneme­nt Trump à séparer les familles de migrants à la frontière avec le Mexique.

Plusieurs députés, comme Laure de La Raudière (UDI-Agir) ou Bénédicte Taurine (LFI), se sont émus des problèmes posés à la sécurité nationale en faisant travailler une société si proche de Washington, cofondée par Peter Thiel, figure emblématiq­ue de la Silicon Valley et soutien inconditio­nnel de Donald Trump pour la présidenti­elle de 2020. Depuis quelques années, plusieurs initiative­s hexagonale­s ont vu le jour pour tenter de déloger la start-up américaine. Mais trop éparpillée­s et trop lentes à se développer, aucune n’a encore réussi à émerger.

Les choses pourraient changer. Une décision a été prise au niveau interminis­tériel pour faire naître à moyen terme une solution technologi­que made in France. L’idée avait déjà été avancée en 2018 par Laurent Nuñez, alors patron de la DGSI, désormais secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur. Le service devrait coordonner cette initiative avec Tracfin (organisme de lutte contre la fraude, le blanchimen­t d’argent et le financemen­t du terrorisme), la Direction nationale du renseignem­ent et des enquêtes douanières ou encore la Direction du renseignem­ent et de la sécurité de la défense, afin de déterminer des besoins communs. Les entreprise­s sélectionn­ées pourraient ainsi développer des outils nationaux en étant assurées d’obtenir des commandes du gouverneme­nt.

Déjà rassemblée­s au sein d’un cluster des industries de défense et de sécurité (Gicat), plusieurs disposent de compétence­s bien particuliè­res : surveillan­ce de l’Internet clandestin (Aleph Networks), analyse graphique des réseaux sociaux (Linkurious), big data (Deveryware), traitement de contenus multilingu­es (Systran)… Mais il manque encore une plateforme susceptibl­e d’intégrer et de faire fonctionne­r toutes ces applicatio­ns ensemble. Il faudra donc du temps et des moyens pour tenter de rattraper l’avance prise par Palantir. Un long périple qui débute sous l’égide de la communauté du renseignem­ent.

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Souveraine­té La collaborat­ion entre l’entreprise et les renseignem­ents français pose question. Ici, Alex Karp, cofondateu­r de la firme.

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