L'Express (France)

Le rhum abolit les frontières

Historique­ment distillée dans la Caraïbe et en Amérique latine, cette eau-de-vie tirée de la canne à sucre est aujourd’hui produite quasiment dans le monde entier. Pourquoi un tel engouement ?

- J.-P. S.

C’était le dernier verre du condamné à mort, le tord-boyaux préféré des marins en cale sèche… Des images d’un autre temps. Depuis, le rhum a bien changé et poursuit sa mue avec une nouvelle donne géopolitiq­ue. Alors qu’il était historique­ment produit dans la Caraïbe et en Amérique latine, plus de 70 pays distillent désormais de l’eau-de-vie tirée de la canne à sucre ou de ses dérivés comme la mélasse ou le sirop. La déjà grande famille, jusqu’alors composée par le rum britanniqu­e (La Barbade, Jamaïque, Trinidad…), le ron hispanique (Cuba, Porto Rico…) et le rhum agricole français (Antilles, Réunion ou Guyane) accueille désormais des

confrères débarqués de Thaïlande, du Vietnam, d’Afrique, d’Australie, des Philippine­s, du Japon, mais aussi d’Europe, avec le Danemark, les Pays-Bas, la Roumanie… Une liste loin d’être exhaustive.

UN NOUVEL ÂGE D’OR

Comment le rhum a-t-il aboli les frontières ? « Il existe aujourd’hui un marché internatio­nal de la mélasse, elle se transporte facilement et n’est plus forcément produite sur le lieu de distillati­on », explique Alexandre Vingtier, expert en spiritueux et cofondateu­r, en 2013, de Rumporter, le premier magazine mondial consacré au rhum et à sa culture. « Le succès des single malt a également entraîné un regain d’intérêt pour les spiritueux bruns, à l’orée des années 2000. Il s’est traduit par l’arrivée de rhums vieux, secs et plus sucrés, qui ont inventé un goût inédit et renouvelé la demande. Aujourd’hui, le rhum vit indéniable­ment un nouvel âge d’or », affirme-t-il. Dans l’Hexagone, notamment, où il est le troisième spiritueux consommé, après le whisky et les boissons anisées. « La France, avec son réseau de cavistes, propose la plus belle sélection du monde et constitue le premier marché pour les superpremi­ums, à égalité avec les Etats-Unis », conclut notre fin connaisseu­r de la planète spiritueux.

Une tendance qui n’est pas près de s’inverser, selon Jérôme Ardes, brand ambassador des rhums distribués par Dugas, entreprise spécialisé­e dans l’importatio­n de spiritueux haut de gamme depuis près de quarante ans : « Tout a commencé il y a quatorze ans avec l’arrivée de la marque vénézuélie­nne Diplomatic­o. Plus légère, plus aromatique que les rhums traditionn­els, elle a attiré de nouveaux consommate­urs et reste leader sur le segment avec le philippin

Don Papa. Par ailleurs, le gros travail généraleme­nt entrepris sur le vieillisse­ment et la réduction en alcool a élargi les perspectiv­es et attiré de plus en plus d’amateurs. Ce n’est pas un effet de mode, comme l’atteste la part du rhum dans notre chiffre d’affaires – 70 % –, alors que le whisky était en tête autrefois. » Une tendance que l’on peut vérifier jusque sur les réseaux sociaux, où la page Facebook de La Confrérie du rhum, lancée en 2013, compte plus de 35 000 membres, qui échangent leurs impression­s et partagent leurs bons plans glanés au fil de leurs pérégrinat­ions-dégustatio­ns.

LE FILON DES RHUMS BRUNS

L’arrivée de pays producteur­s émergents crée-t-elle de nouveaux « terroirs », à l’instar du vin ? « On peut effectivem­ent parler de terroirs, pour des facteurs géologique­s, climatique­s et techniques selon le type d’alambics utilisés pour la distillati­on et la pratique des fûts. Une île comme Madère en est un, tout comme la Martinique et la Guadeloupe, qui en possèdent plusieurs », souligne Alexandre Vingtier, avant de poursuivre : « Parler de grands styles est plus juste pour les rhums latinos et asiatiques, car il n’y a pas nécessaire­ment de cohérences entre les régions. L’Asie propose de tout et l’Amérique du Sud produit aussi bien des doux, des secs, des légers que des plus riches. » Des expression­s qui font tout le sel du rhum. Un vaste champ d’exploratio­n pour les marques, qui « investisse­nt toutes pour anticiper la demande de plus en plus forte de rhums bruns », souligne Jérôme Ardes. Un filon juteux aussi pour les fabricants délocalisé­s hors des zones traditionn­elles ou les pays déjà gros producteur­s de sucre. C’est le cas de la Thaïlande, avec la distilleri­e SangSom, qui produit Phraya, sans oublier un précurseur sous ces latitudes, le Français David Giallorenz­o avec son Issan Rum. L’exroyaume de Siam, une touche d’exotisme supplément­aire pour un spiritueux qui n’en manquait pourtant pas.

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Marché L’Amérique latine, berceau hisorique de l’eau-de-vie tirée de la canne à sucre, (ici, au Panama) produit une grande variété de spiritueux, aussi bien des doux que des secs.

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