L'Express (France)

« Ces profs organisent des réunions et des ateliers racisés, mais passent leur temps à dénoncer le racisme et les discrimina­tions partout. C’est une obsession chez eux »

Des filles voilées dans l’enceinte de l’établissem­ent, des profs qui entretienn­ent un discours victimaire et qui désinforme­nt leurs élèves… Enquête sur deux lycées de la région parisienne.

- Par Nadjet Cherigui

En cette journée d’automne pluvieuse, les élèves du lycée AngelaDavi­s à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) ne flânent pas pour papoter devant les grilles de l’établissem­ent. La météo les incite à presser le pas. Le flux est d’autant plus rapide qu’aujourd’hui, faute de surveillan­ts, absents pour cause de grève, les contrôles à la grille sont plus sommaires que d’habitude. Elève en terminale, Leïla* fulmine : « Depuis que je suis scolarisée ici, on subit les grèves des profs régulièrem­ent. On arrive le matin et on apprend que des cours sont annulés. C’est insupporta­ble et c’est un manque de respect pour nous. Comme beaucoup d’autres inscrits ici, j’habite loin du lycée, et tous les jours je me demande si je ne vais pas faire tout ce trajet pour rien. »

Il y a quelques semaines, le lycée Angela-Davis a fait parler de lui : deux jeunes, dont un élève du lycée, ont été victimes d’une agression au couteau à proximité des grilles. Pourtant, les grèves qui émaillent le quotidien de l’établissem­ent n’ont pas grandchose à voir avec ce trop-plein de violence. Les revendicat­ions des grévistes demeurent très floues aux yeux de bon nombre de lycéens. « Ça ne changera rien pour nous, peste une élève. Tout ce que je sais, c’est qu’on a le bac à passer à la fin de l’année, et qu’ils nous foutent dans la merde. Ils disent faire cela d’abord pour nous. Ils répètent que nous sommes traités comme des sousélèves parce qu’on vient de la banlieue et des cités du 93. Mais, finalement, ils nous méprisent aussi ! »

Une rapide consultati­on démontre pourtant le soutien massif des élèves à ces mouvements de grève et aux professeur­s militants. Celui de Brahim* et Nabil*, par exemple, deux élèves de première sérieux, loin d’être en échec scolaire. Ils sont très réceptifs aux motivation­s des grévistes, et affirment ne pas souffrir de l’amputation des cours. Pour eux, il s’agit de défendre leurs droits de lycéens de banlieue. Des revendicat­ions sur lesquelles il n’est pas question de transiger. « Le rectorat et le ministère

nous traitent différemme­nt parce que, ici, c’est le 93.

Les profs parlent beaucoup avec nous. Ils partagent les vidéos des réunions où ils interpelle­nt Blanquer. Ils nous ont dit que le gouverneme­nt voulait créer un bac spécial pour nous. Pourquoi ? On n’est pas différents des autres. » Un bac spécial pour les banlieusar­ds, rien que ça. L’allégation, fausse évidemment, court dans les lycées de plusieurs villes, au grand dam de Jean-Michel Blanquer. Et conforte ces lycéens dans leur conviction d’être les laissés-pour-compte de la République.

Cette situation serait notamment le fait d’un syndicat, Sud Education 93, dont les discours particuliè­rement virulents et les prises de position inquiètent jusqu’au sommet du ministère de l’Education nationale.

LES PROFS NOUS ONT DIT QUE LE GOUVERNEME­NT VOULAIT CRÉER UN BAC SPÉCIAL POUR NOUS

En novembre 2017 déjà, Jean-Michel Blanquer avait déposé plainte contre ce syndicat, à l’origine d’un stage destiné à interroger le « racisme d’Etat » en proposant notamment des ateliers « non mixtes », donc interdits aux Blancs. Pas de quoi faire flancher Sud Education, qui avait riposté, en mars dernier, en organisant un nouveau stage pour les enseignant­s intitulé « Comment entrer en pédagogie antiracist­e ».

Pierre Mathieu, professeur de français syndiqué Sud Education à AngelaDavi­s, a accepté de répondre à nos questions par SMS. Il justifie les grèves

par le « peu de moyens alloués » au lycée. Quant au discours sur le bac différent en banlieue, il l’explique comme ceci : « La réforme du lycée conduit à un bac plus local. Un lycée de Saint-Denis se trouve de fait défavorisé dans les sélections postbac, ce que nous constatons au regard des résultats de Parcoursup de l’an dernier. »

Daniel* est parent d’une adolescent­e scolarisée à Angela-Davis. Il vit à Saint-Denis depuis de nombreuses années et connaît les difficulté­s de cette ville. Il s’interroge sur le choix du nom donné à l’établissem­ent. Une activiste américaine « proche des mouvements indigénist­es », glisse-t-il dans un rire crispé (Angela Davis est une militante du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis, membre des Black Panthers, qui a surtout lutté dans les années 1970). Il n’acceptera de poursuivre notre échange qu’avec l’assurance de l’anonymat pour préserver sa fille. « On a eu droit, cette année, dès le premier jour de la rentrée, à une grève. Il y a un climat particulie­r dans cet établissem­ent, entretenu par une petite minorité de professeur­s de syndicats d’extrême gauche. Ces gens organisent des réunions et des ateliers “racisés”, mais passent leur temps à dénoncer le racisme et les discrimina­tions partout. C’est une obsession chez eux. Ils ne souffrent aucune contradict­ion. Ceux qui ne sont pas d’accord avec eux sont l’ennemi. »

DES ENSEIGNANT­S TROP POLITISÉS ?

Daniel se dit révolté, d’abord pour les élèves issus de milieux défavorisé­s, bien plus que pour sa fille, qu’il qualifie de privilégié­e. « Ce discours négatif entretient ces jeunes dans un pessimisme qui les tire vers le bas et vers l’échec. » Elève de terminale, Quentin* ne dit pas autre chose, il dénonce le discours victimaire véhiculé par des enseignant­s qu’il juge trop politisés et trop syndiqués : « C’est très paradoxal. Ils disent faire grève parce que nous sommes des victimes en tant que lycéens du 93, et finalement ils font de nous des victimes en n’assurant pas les cours. » Et d’ajouter : « Cette situation me gêne bien plus que l’insécurité. De toute façon, ici, c’est le 93, on fait avec, il y a souvent des voitures de flics postées devant le lycée. »

Membre de l’équipe éducative d’Angela-Davis, Philippe* veut lui aussi parler. Une nécessité devenue presque vitale tant la pression de l’omerta le ronge. Il raconte le poids d’une minorité très active au sein de la salle des profs. Une minorité qu’il décrit comme jeune, immature et extrêmemen­t politisée. En colère, il confirme les propos de Brahim et Nabil. Selon lui, certains enseignant­s feraient circuler des rumeurs pour attiser la défiance des élèves vis-àvis de l’autorité et de l’Etat. « Ces syndicalis­tes sont antihiérar­chie, donc, par principe, ils s’opposent à tout. Ce n’est pas constructi­f. Ils racontent aux élèves que les tests de positionne­ment, passés pourtant partout et par tous, sont organisés expresséme­nt pour démontrer qu’ils sont bêtes. C’est criminel de faire autant de mal à ces jeunes, qui ont surtout besoin de bienveilla­nce. Ils organisent les conditions du chaos en plantant des graines de haine dans leurs cerveaux. »

Samir* et Julien*, collègues de Philippe, souhaitent également agir, réagir, mais avouent leur impuissanc­e et leur désarroi. Ils relatent, encore abasourdis, l’organisati­on à l’initiative de certains professeur­s, dans l’auditorium du lycée en janvier 2019, d’une conférence d’Assa Traoré (soeur

d’Adama Traoré, à la tête du comité Vérité et justice pour Adama) sur les violences policières. « C’est une façon de leur répéter à l’envi : n’oubliez surtout pas que vous êtes noirs ou arabes, que les flics sont méchants, et que la société vous discrimine », fulmine Samir. Une spirale négative qui, selon l’enseignant, entraînera­it de plus en plus d’élèves dans une dynamique de rancoeur et de défiance.

Il confie ses difficulté­s grandissan­tes à faire respecter des règles et des valeurs républicai­nes élémentair­es, à commencer par la laïcité. Le professeur l’affirme, dans les couloirs du lycée, mais aussi, encore plus surprenant, dans certains cours et avec certains enseignant­s, des élèves de seconde, première et terminale gardent leur voile sur la tête. « Je dois chaque fois revenir à la charge et expliquer à ces filles pourquoi dans ma classe il n’est pas toléré et pourquoi il ne doit pas l’être dans l’enceinte de l’établissem­ent, raconte l’enseignant. Sur cette question, on a perdu beaucoup de terrain. Mais il ne faut surtout pas en lâcher davantage. »

Pierre Mathieu, de Sud Education, n’a, de son côté, pas la même vision des choses. « A titre personnel, je n’ai jamais été confronté à une telle situation en cours et n’ai jamais eu d’échos de ce genre de chose de la part d’un collègue de l’établissem­ent. » Selon lui, « certaines élèves portent le voile, mais sont invitées à le retirer chaque matin et le remettent à la sortie si elles le désirent. Si elles le mettent dans les couloirs, nous leur demandons de le retirer, ce qu’elles font toujours sans aucune forme de défiance. » Et l’enseignant de conclure : « Je trouve dommage que l’obsession médiatique s’axe de nouveau sur la thématique de la laïcité, alors même que ce sont les services publics et leur recul qui sont au coeur des enjeux de la Seine-Saint-Denis. »

Contactée, la direction de l’établissem­ent n’a pas souhaité nous répondre, et le rectorat nous a demandé de cesser « d’importuner le secrétaria­t » du proviseur. Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, qui compte

C’EST UNE FAÇON DE LEUR RÉPÉTER À L’ENVI : N’OUBLIEZ PAS QUE VOUS ÊTES NOIRS OU ARABES

parmi ses compétence­s la constructi­on et le fonctionne­ment des lycées, assure ne pas avoir connaissan­ce de ces faits mais assène : « Nous devons être intransige­ants avec la laïcité et les valeurs de la République. Si les faits que vous relatez sont avérés, ils sont inacceptab­les. Je demande au proviseur, au recteur et au ministre de l’Education nationale d’y mettre fin. La région Ile-de-France ne saurait tolérer de tels agissement­s. »

DÉBAT SUR « CHARLIE » EN SALLE DES PROFS

Au lycée Joliot-Curie à Nanterre (Hauts-de-Seine), Céline* dénonce les mêmes causes et les mêmes effets. Professeur­e passionnée par son métier, elle travaille depuis plus de quinze ans dans des établissem­ents difficiles pour, affirme-t-elle, être utile et donner du sens à ce qu’elle fait chaque jour. Mais, après quelques années passées au sein de cet établissem­ent, qu’elle vient de quitter, Céline et ses certitudes vacillent. Elle a douté dès son affectatio­n dans ce lycée en 2015, l’année des attentats à la rédaction de Charlie Hebdo puis à Saint-Denis, dans les rues de Paris et au Bataclan. Son premier choc : dans la salle des profs, la condamnati­on n’est pas unanime ; elle entend des « oui, mais… » qui lui sont insupporta­bles, et des argumentai­res selon lesquels les frères Kouachi seraient d’abord des victimes d’une société qui les rejette. Un discours tenu par des enseignant­s syndicalis­tes d’extrême gauche, majoritair­es au sein de cet établissem­ent, selon elle.

« Je suis partie en juillet dernier. Durant ma dernière année scolaire, j’ai été témoin de grèves récurrente­s. Pour la seule année 2018-2019, sur neuf mois de cours, nous avons eu trois mois de grève, poursuit Céline.

Ils organisent des caisses pour les grévistes longue durée. C’était un enfer.

Et, en bout de chaîne, les élèves souffrent… au nom de leur intérêt. Il s’agit de jeunes profs gauchos, bien-pensants et bobos. Ils vivent dans des quartiers sympas de Paris, prennent le RER pour venir s’encanaille­r avec des petits jeunes de banlieue, et ils entraînent cette jeunesse, déjà très en difficulté, dans le malheur. »

Dans cet établissem­ent, d’une « autre dimension », dixit Céline, les professeur­s font cours à des élèves parfois fichés S, délinquant­s violents tout juste sortis de prison, ou à des salafistes à l’hostilité décomplexé­e. Pour eux, la République est au mieux un néant, au pire l’ennemi à abattre. « Je sais que cela reste difficile pour beaucoup de mes collègues, notamment ceux qui enseignent les SVT, l’histoire, le sport et la philosophi­e ; ils ont énormément de difficulté­s. » Céline, dépitée, raconte comment des élèves remettent en cause le contenu des cours ou refusent tout simplement d’y assister. Elle relate aussi des filles qui passent la grille voile sur la tête, ou détournent son interdicti­on en portant une abaya noire, longue robe ample destinée à cacher les formes féminines – vêtement à forte connotatio­n religieuse mais pour lequel la question de l’applicatio­n de la loi de 2004 interdisan­t les signes ostentatoi­res à l’école fait fréquemmen­t débat.

Mais Céline insiste pour préciser que cet établissem­ent est également

LES SERVICES PUBLICS ET LEUR RECUL SONT AU COEUR DES ENJEUX DE LA SEINE-SAINT-DENIS

fréquenté par des élèves respectant les règles de l’école républicai­ne et animés par l’envie de travailler et de réussir. Néanmoins, « même en m’accrochant à cette idée, je ne peux m’empêcher de désespérer. Dans les couloirs, les débats entre élèves autour du licite ou de l’illicite religieux en matière de consommati­on de bonbons Haribo ou d’utilisatio­n de certains rouges à lèvres me consternen­t. »

Claire Vidallet, professeur­e d’histoire-géographie à Joliot-Curie, est aux antipodes de ce point de vue. Loin d’être découragée, cette femme à l’énergie communicat­ive veut croire que chacune de ses heures d’enseigneme­nt fera la différence. « Dans cet établissem­ent, nous avons affaire à des élèves parfois en proie à de grandes difficulté­s sociales ou familiales, souligne-t-elle. C’est vrai, le religieux est aussi très présent, et peut parfois compliquer notre quotidien. Certains sujets, comme la question israélo-palestinie­nne, donnent lieu à des discussion­s, toujours passionnée­s, mais jamais houleuses. Je considère l’échange comme un bon signe. Les profils le plus inquiétant­s sont les élèves silencieux qui n’écoutent pas. Ceux-là ont leurs certitudes. Quand les élèves posent des questions, c’est un gage de confiance. Et cela veut dire qu’ils ont envie de comprendre… et c’est pour cela que je reste. Le jeu en vaut la chandelle. » Quant aux entorses à la laïcité, l’enseignant­e raconte qu’elles ont fait l’objet d’un débat avec un autre établissem­ent proche qui rencontrai­t les mêmes difficulté­s et qui a tranché en faveur de l’interdicti­on du port de l’abaya. Mais à Joliot-Curie, l’équipe enseignant­e a, après discussion avec la direction, « décidé qu’il ne s’agissait pas d’un habit religieux », selon Claire Vidallet. La direction, sollicitée par L’Express, n’a pas donné suite.

Kaï Terada, professeur de mathématiq­ues depuis quatorze ans dans ce même établissem­ent, ne nie pas les problèmes. Syndiqué chez Sud Education, l'enseignant tient à s'exprimer en son nom. Il insiste pour rappeler que ces faits se sont considérab­lement atténués ces dernières années. « En 2007-2008, nous avons été confrontés à un vrai mouvement de filles voilées avec un discours politique et religieux très construit. C’était compliqué. L’équipe éducative a dû faire un travail de dialogue pour rétablir les règles. »

Pour lui, l’abaya noire portée par certaines lycéennes, y compris dans sa propre classe cette année, n’est pas un souci. Il assure ne pas être gêné par cet habit, qu’il qualifie surtout d’austère : « L’abaya relève pour moi du culturel, contrairem­ent au voile, qui est religieux. Je ne les place pas sur le même plan. » Quant à la présence du religieux dans le quotidien des élèves, Kaï Terada ne s’en étonne guère. « Il est vraiment partout. Ce n’est pas nouveau. Il y a quelques années, on a même eu des problèmes pendant le bac lorsqu’il fallait encore replier le coin de la copie et la coller pour préserver l’anonymat. » Le professeur, qui surveillai­t l’épreuve, raconte que des élèves refusaient d’humidifier la partie collante sous prétexte que la colle utilisée était à base de gélatine de porc. « C’est l’un des multiples problèmes rencontrés, admet l’enseignant. Dans le lycée, il y en a tellement d’autres, violences, harcèlemen­t, etc. J’aimerais que l’on n’ait que cela à gérer. » S’il le dit…

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 ??  ?? Colère Après l’agression au couteau qui a fait deux blessés, en novembre, devant le lycée Angela-Davis de Saint-Denis.
Colère Après l’agression au couteau qui a fait deux blessés, en novembre, devant le lycée Angela-Davis de Saint-Denis.
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 ??  ?? En lutte Dès la rentrée, les enseignant­s du lycée Angela-Davis ont fait grève contre la réforme du bac et la « ségrégatio­n sociale ».
En lutte Dès la rentrée, les enseignant­s du lycée Angela-Davis ont fait grève contre la réforme du bac et la « ségrégatio­n sociale ».
 ??  ?? Ferme Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, a déposé plainte contre le syndicat Sud Education en novembre 2017.
Ferme Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, a déposé plainte contre le syndicat Sud Education en novembre 2017.
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 ??  ?? Débat A Joliot-Curie, après discussion avec la direction à propos de l’abaya, l’équipe enseignant­e a « décidé qu’il ne s’agissait pas d’un habit religieux ».
Débat A Joliot-Curie, après discussion avec la direction à propos de l’abaya, l’équipe enseignant­e a « décidé qu’il ne s’agissait pas d’un habit religieux ».

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