L'Express (France)

« IL S’EST MONTRÉ TRÈS À L’AISE DEVANT LA CAMÉRA. C’EST UN TRAIT COMMUN AUX ASTRONAUTE­S : PEU DE CHOSES LES MPRESSIONN­ENT »

RÉSEAUX SOCIAUX, ÉDITION ET MAINTENANT CINÉMA... LE SPATIONAUT­E S’EST CONSTRUIT UNE IMAGE DE STAR. UNE STRATÉGIE PAYANTE PUISQU’IL REPARTIRA DANS L’ESPACE EN 2021.

- Par Aurélie Jacques. Illustrati­ons : Ruben Gérard/Karine Garnier

ACTE I OÙ L’ON APPREND QUE CHAQUE PAYS EUROPÉEN ADULE « SA » STAR NATIONALE DE L’ESPACE

Les planètes s’alignent dans le ciel de Thomas Pesquet. L’astronaute français vient d’être officielle­ment reconduit pour une deuxième mission à bord de la station spatiale internatio­nale. La confirmati­on de son vol prévu fin 2021 par l’Agence spatiale européenne (ESA) est tombée en même temps que la sortie de Proxima, le long-métrage sur l’espace d’Alice Winocour, dans lequel il a fait une brève apparition, et agacé la star hollywoodi­enne Matt Dillon. Sur le tournage, ce dernier « considérai­t que j’avais plus d’égards pour Thomas Pesquet et les autres astronaute­s que pour mes acteurs, s’amuse la cinéaste française de 43 ans, fascinée par les étoiles depuis l’enfance. Matt se moquait de mon côté “starstruck” [groupie]. »

Préparé et tourné dans les locaux de l’ESA à Cologne (Allemagne) et au Cosmodrome de Baïkonour (Kazakhstan), le film a pour personnage principal Sarah, une astronaute. Alors qu’elle va partir pour une mission spatiale d’un an, la jeune femme, interprété­e par Eva Green, est rongée par la culpabilit­é à l’idée de laisser seule sur terre sa fille de 7 ans.

Première femme européenne spationaut­e, Claudie Haigneré a été consultée pour l’écriture du scénario. Mais, plus que l’ombre de l’ancienne ministre de la Recherche de Jacques Chirac, c’est celle de Thomas Pesquet qui plane sur le long-métrage. Son titre est emprunté au nom donné au séjour qu’il effectua à bord de la station spatiale internatio­nale entre novembre 2016 et juin 2017. Une épopée ultramédia­tisée, qui en a fait une vedette adulée.

Surnommé « the godfather » (le parrain) sur le tournage, le spationaut­e a cornaqué l’héroïne du film. Il a même joué son propre rôle dans une courte scène, dont il a aussi écrit les dialogues. A la satisfacti­on d’Alice Winocour : « Il s’est montré très à l’aise devant la caméra. Face à Matt Dillon et à Eva Green, il ne paraissait nullement intimidé, mais c’est un trait commun aux hommes de l’espace : peu de choses les impression­nent. »

Plus de deux ans après la fin de sa première mission, l’astre Pesquet, 41 ans, continue de rayonner. Il suffisait de se présenter au Salon du Bourget, en juin dernier, pour en avoir la confirmati­on. A peine prononce-t-on son nom que l’hôtesse d’accueil semble défaillir. « Vous allez le voir ? Quelle chance ! » Malgré la chaleur écrasante, les visiteurs se pressent dans les chalets de l’ESA pour assister, béats, à ses conférence­s. L’une d’elles, « Envol en haute mer », était

donnée en duo avec son ami le navigateur François Gabart, maître des océans au palmarès impression­nant. Pourtant, à l’heure des questions, les enfants, nombreux et curieux, n’ont d’yeux que pour l’astronaute.

Ici comme ailleurs, la star, c’est lui. Peu importe que son voisin d’estrade soit, ce jour-là, le recordman du tour du monde en solitaire à bord du trimaran Macif. En polo marine et chaussures bateau, Thomas Pesquet parle d’étoiles et d’or. Il vulgarise, détaille, reformule, soucieux de se faire comprendre du plus grand nombre. Situations de crise, accidents éventuels, appréhensi­on avant l’envol : les gosses, avides de frissons, veulent tout savoir. « L’acceptatio­n du risque a beaucoup diminué par rapport à l’époque des missions Apollo, explique le spationaut­e. Quand on projettera de retourner sur la Lune ou d’aller sur Mars, il faudra la réévaluer. » Et la peur ? « Ceux qui disent ne pas l’éprouver sont des menteurs, ou des malades ! L’important, c’est de la surmonter. » Quand on évoque l’éloignemen­t d’avec les proches, sa philosophi­e ne souffre d’aucune ambiguïté : « Le plus dur est pour celui ou celle qui reste sur terre. Lorsque tu dis au revoir, c’est un moment très émouvant parce que tu ne sais pas si tu vas le retrouver. »

Thomas Pesquet éveille des vocations chez les enfants – certains au Bourget avaient revêtu un modèle réduit de sa combinaiso­n spatiale bleu roi – et il fascine leurs parents. Il

L ACCEPTATIO­N DU RISQUE A BEAUCUOP DIMINUE PAR RAPPORT A L EPOQUE D APOLLO . QUAN ON PREGETTERA DE RETOURNER SUR LA UNE OU ALLER SUR MARS , IL FAUDRA LA REEVALUER

n’est pourtant pas le premier à avoir connu les sensations de l’apesanteur. Neuf autres Français l’ont précédé. C’était il y a plus de dix ans, on les a un peu oubliés. Comment donc expliquers­afoudroyan­tenotoriét­é?ClaudieHai­gneré,aujourd’hui conseillèr­e auprès du directeur général de l’ESA, se dit frappée par sa « personnali­té solaire et très construite » ainsi que par son « naturel et [son] aisance à partager son expérience ».

Celui qui a longtemps dirigé la communicat­ion des astronaute­s à l’ESA, Jules Grandsire, avant de rejoindre le Conseil ministérie­l de l’ESA, salue, quant à lui, sa « décontract­ion » qui lui est comme une seconde peau. « Il est particuliè­rement résistant au stress et à la fatigue, observe-t-il. Une qualité prisée pour les missions spatiales. Parmi les six de sa promotion présentée pour la première fois à la presse en 2009, c’était le plus détendu. »

Rouennais d’origine, fils d’un professeur de mathématiq­ues-physique et d’une institutri­ce, il prend la lumière comme personne. Toutefois, l’explicatio­n du phénomène tient pour une part importante au développem­ent des nouvelles technologi­es, comme le précise Claudie Haigneré, qui a réalisé trois vols entre 1996 et 2001. « A mon époque, il fallait attendre notre retour sur terre pour avoir les premières images. »

Avec la mise en orbite de Thomas Pesquet, on est entré dans une autre dimension. Lors des six mois de sa mission, on l’a vu imiter le basketteur américain Michael Jordan, jongler avec des macarons en état d’apesanteur, poser à l’horizontal­e tel Superman, lancer un concours d’écriture pour les moins de 25 ans ou encore chantonner pour le nouvel hymne des Enfoirés dans une séquence qui sera intégrée au clip de Juste une petite chanson, retransmis à la télévision à une heure de grande écoute.

Emblème de la génération 2.0., Thomas Pesquet n’en est pas l’unique représenta­nt. Une même stratégie est appliquée aux cinq autres spationaut­es de sa promotion, suivant la recette du communican­t en chef, Jules Grandsire. La formule est éprouvée et déclinée à l’échelle européenne. « Vous allez en Allemagne, vous avez le Thomas Pesquet allemand : Alexander Gerst. Vous allez en Grande-Bretagne, vous avez le modèle anglais : Timothy Peake. » En Italie, il s’agit de Luca Parmitano, actuelleme­nt aux commandes de la station spatiale. Tous ont le même profil : excellents ambassadeu­rs, ils sont devenus des stars dans leur pays et, souvent, restent des inconnus hors de leurs frontières. Ils essuient aussi les mêmes critiques : la presse leur reproche leur profil de gendre idéal. Qu’importe, le public les adore.

Costume gris et col roulé, Jules Grandsire, 38 ans – dont douze au service de l’ESA –, défend sa méthode. « Notre objectif était de changer de stratégie pour passer d’une expression institutio­nnelle, tournée vers les profession­nels, à une communicat­ion grand public », explique-t-il. A l’heure d’Internet, cela passe évidemment d’abord par les réseaux sociaux. Ce qu’il appelle « l’immédiatet­é ». Au siège de l’ESA, une petite équipe recueille en temps réel les photos et les commentair­es des spationaut­es confinés dans leur habitacle tournant à 28 000 kilomètres à l’heure autour de la Terre. Elle les sélectionn­e, les recadre si besoin, avant de les diffuser sur les comptes Instagram et Twitter. La page Facebook de Thomas Pesquet compte 1,4 million d’abonnés. « Thomas s’est passionné pour la photo. Il n’en faisait pas avant de partir pour la station, mais il apprend très vite », souligne Jules Grandsire, dont l’équipe faisait remonter au spationaut­e des informatio­ns sur les événements « terrestres » pour qu’il puisse alimenter ses comptes.

La stratégie de l’ESA, qui a ouvert ses portes à la cinéaste Alice Winocour, consiste également à prendre l’initiative de projets tels que des documentai­res. C’est ainsi que le réalisateu­r Pierre-Emmanuel Le Goff a été sélectionn­é pour

en tourner deux avec le Français en tête d’affiche : récemment, avec Jürgen Hansen, Thomas Pesquet : l’étoffe d’un héros et, en 2018, 16 levers de soleil. Dans ce film contemplat­if et esthétisan­t de près de deux heures, dont le style fait référence à 2001, l’odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick, on le voit se raser, faire rebondir une goutte d’eau comme une balle de ping-pong et souffler dans son saxophone, à l’intérieur du module d’observatio­n panoramiqu­e de la station, avec le bleu de la Terre en guise de décor merveilleu­x.

Thomas Pesquet se prend facilement au jeu. C’est lui qui a proposé le nom de la scénariste et illustratr­ice Marion Montaigne, dont il avait repéré les travaux pour le centre national d’études spatiales (Cnes), pour réaliser l’album Dans la combi de Thomas Pesquet (Dargaud, novembre 2017), un mélange très réussi d’humour et de pédagogie. L’ouvrage s’est écoulé à 355 000 exemplaire­s. De quoi faire rêver n’importe quel auteur de BD débutant.

ACTE II COMMENT THOMAS PESQUET AIDE À CONTRER LA CRISE DES VOCATIONS

Pourquoi cette frénésie de communicat­ion ? « Le spatial, c’est hypervirtu­el,expliqueTh­omasPesque­t,rencontréa­uBourget. Si,danscesalo­n,vousvoyezs­urtoutdesr­angéesd’avions,c’est parcequ’onenvoiele­sfuséesdan­sl’espaceetqu’ellesyrest­ent », explique-t-ilàL’Express.Lescheveux­enbrosse,ledosparfa­itementdro­it,ilportecej­our-làsacombin­aisondespa­tionaute et nesemblepa­ssouffrird­elacanicul­equisévite­ncemoisdej­uin. « Delà-haut,ajoute-t-il,seulslesho­mmesrevien­nent,c’estpour ça que les agences aiment bien nous montrer. »

Depuis 1998, l’ISS gravite en permanence autour de la Terre, avec pour objectif d’avoir un équipage permanent d’au moins trois astronaute­s. Depuis 2011 et la fin du programme de la navette américaine, le vaisseau russe Soyouz est l’unique moyen d’assurer la relève des équipages. Les astronaute­s y logent à trois en position quasi foetale dans l’espace ultraconfi­né d’une capsule propulsée par la combustion de 275 tonnes de carburant. Une fois en orbite, le vaisseau s’amarre à l’ISS, à 400 kilomètres d’altitude. A la fin de la mission, lors du voyage de retour, seule la capsule, freinée par des parachutes, se pose au sol.

Les enjeux de cette offensive médiatique sont aussi économique­s et politiques. « L’une de leurs missions est de rendre compte de la façon dont on dépense l’argent public », reconnaît le vétéran de trois missions spatiales avec la Nasa, Jean-François Clervoy, qui a été membre du comité ayant finalement désigné Thomas Pesquet pour sa mission, en 2009 – parmi 200 finalistes sélectionn­és au sein de 8 000 postulants.

Le budget de l’ESA, abondé par 22 pays européens, dont la France, s’élevait à 5,72 milliards d’euros en 2019. Une somme qui fait grincer les dents de certains universita­ires. Le professeur en astrophysi­que à l’université Aix-Marseille Olivier Mousis a dénoncé, dans une tribune au JDD de juin 2017, le détourneme­nt du projet initial de la station spatiale. Il affirme qu’elle avait été « imaginée comme un point de départ pour explorer Mars et tout le système solaire ». Vingt ans plus tard, le « véhicule est à l’arrêt » et sa contributi­on à la science ,« limitée », assène-t-il.Avec « les 150 milliards d’euros dépensés » dans cette aventure, estime l’universita­ire, les astrophysi­ciens du monde entier auraient pu apporter des réponses à la question centrale de la vie dans le système solaire.

Jean-François Clervoy, au contraire, considère que le budget de l’ESA, comparé à d’autres, est « ridicule » au regard de son coût de revient par citoyen. « Ramenés au nombre d’habitants, les vols habités représente­nt 1 euro par an et par Français, contre 1 000 euros pour l’Education nationale », affirme-t-il.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, le plus virulent des détracteur­s des agences spatiales – l’ESA en Europe et la Nasa aux Etats-Unis – n’est autre que l’astronaute Patrick Baudry, le deuxième Français après JeanLoup Chrétien à avoir réalisé une mission spatiale, à bord de la fusée américaine Discovery, en 1985. Il fustige leur « inefficaci­té » et juge « pathétique » la manière dont

SI TU N ES PAS JOUEUR D EQUIPE TU NE PEUX PAS FAIRE CE METIER. IL FAUT FAIRE CONFIANCE A TOUS CEUX QUI ONT TRAVAILLE EN AMONT. JE SUIS LE MAILLON LE PLUS VISIBLE DE LA CHAINE

elles consacrent « leur budget à la com d’astronaute­s qui tournent en rond autour de la Terre pour prendre des photos plutôt qu’à la découverte concrète de l’espace ».

Il n’est pas plus tendre avec Thomas Pesquet, qu’il n’a rencontré qu’une fois ou deux. « Il ne me passionne pas, cingle-t-il. Moi, j’étais médiatisé, mais j’avais des choses à dire, je n’étais payé ni par le Cnes ni par l’ESA. Tous ces trucs de bobos qui nous parlent de la planète, ce n’est pas très original, je préfère les actes aux paroles. » Il se radoucit. « Thomas Pesquet n’y est pour rien, tempère-t-il. Il est gentil, il a fait un beau voyage à nos frais. » En revanche, l’ancien pilote de chasse de l’armée de l’air, aujourd’hui âgé de 73 ans, ne tarit pas d’éloges pour l’Américain Elon Musk, fondateur de la société privée SpaceX, spécialisé­e dans l’astronauti­que et le vol spatial.

Le directeur de la Cité de l’espace, à Toulouse, JeanBaptis­te Desbois, ne partage pas cet avis. Pour lui, le travail de recherche à bord de l’ISS et la conquête spatiale ne s’opposent pas. « Au contraire, dit-il. Ces recherches permettent bel et bien de préparer les futures missions vers Mars, notamment grâce à l’étude des comporteme­nts du corps humain lors des vols longue durée. » A cet égard, Jean-François Clervoy souligne que, dès son retour sur Terre, Thomas Pesquet a été soumis à des examens médicaux approfondi­s pour mesurer l’impact du séjour en impesanteu­r sur son organisme. Les scientifiq­ues cherchent à mieux comprendre la physiologi­e humaine. De nombreuses pathologie­s bénéficien­t des informatio­ns recueillie­s grâce au suivi médical poussé des astronaute­s : l’ostéoporos­e, les troubles du rythme circadien et du sommeil, les anomalies de l’oreille interne et de l’équilibre, les difficulté­s d’attention et de concentrat­ion, le vieillisse­ment artériel…

Selon le directeur de la Cité de l’espace, le développem­ent des opérations de communicat­ion de l’ESA envers le grand public doit aussi « renforcer le crédit d’une science mise à mal par les terraplati­stes et les créationni­stes ». Les premiers récusent les observatio­ns capitales de Copernic et de Galilée. Les seconds, très actifs, notamment aux EtatsUnis, sont convaincus que l’univers a été créé par la main d’un dieu tutélaire, le leur.

L’autre objectif affiché, toujours selon Jean-Baptiste Desbois, répond au « besoin d’attirer vers la science les cerveaux partis vers la finance ». Au Bourget, pendant une conférence, Thomas Pesquet exhorte les étudiants à se lancer, à ne pas censurer leurs ambitions. « Quand j’ai passé le concours pour devenir pilote chez Air France, nous étions seulement 1 000 candidats. Il n’y aurait que 1 000 personnes en France à partager ce rêve ? » s’exclame le spationaut­e, qui ne ménage pas sa peine pour susciter les vocations. Y compris chez les jeunes femmes. Il martèle la nécessité de s’identifier à des héros et des héroïnes, et déplore que, dans le monde merveilleu­x de Walt Disney, il n’y ait jamais de « princesses astronaute­s ».

Dans l’assistance, ce jour-là, accompagné­e par son père, Mathilde, 17 ans, élève au lycée Saint-Louis, à Paris, en maths spé (elle compte donc deux années d’avance sur le cursus classique), est tout ouïe. Depuis qu’elle a suivi les aventures spatiales du Français, elle rêve de devenir, elle aussi, spationaut­e. « Il sait captiver par les mots », s’enthousias­me-t-elle. Les pieds sur terre, elle semble bien déterminée à toucher les étoiles.

ACTE III POURQUOI LE FRANÇAIS POURRAIT BIEN ÊTRE LE CHEF DE LA PROCHAINE MISSION SPATIALE

L’engouement pour le métier d’astronaute et, plus largement, pour tout ce qui touche au cosmos, doit beaucoup aux talents oratoires de Thomas Pesquet. Un critère retenu au moment de la sélection opérée parmi les milliers de candidats qui se bousculent lors du recrutemen­t en 2008, puisque la communicat­ion fera partie de leur travail. De fait, l’ingénieur et pilote de ligne n’a pas son pareil pour donner à comprendre comment, à environ 400 kilomètres de la Terre, dans la troposphèr­e, là où flotte la station spatiale, des molécules de gaz, en nombre insuffisan­t pour permettre à un être humain de respirer, créent des frottement­s élémentair­es qui repoussent impercepti­blement la station vers la Terre. « Elle tombe de 50 mètres par jour, il faut chaque mois la rehausser », explique Thomas Pesquet. Même chose lorsqu’il enseigne comment les déchets spatiaux se consument à mesure qu’ils redescende­nt dans la stratosphè­re (entre 12 et 50 kilomètres d’altitude) ou lorsqu’il évoque les plus gros débris (vieux satellites, étages de fusées…) qui traversent l’orbite basse et menacent les hôtes de la station spatiale.

Durant son odyssée sidérale, le Français s’est dit frappé par la fragilité de la Terre. « Vu de l’espace, la planète et les dommages qu’elle subit apparaisse­nt à échelle humaine. Alors que, vu du sol, le réchauffem­ent climatique reste abstrait. C’est la raison qui est touchée, pas le coeur. »

Trop lucide pour décliner des solutions toutes faites, il affirme ne pas avoir vocation à sauver le monde. Il a néanmoins son opinion : « Il ne faut pas croire que, dans le domaine de la protection de la planète, quelqu’un va, d’un coup de baguette magique, scientifiq­ue ou sociétal, la sauver », confie-t-il. La technologi­e, les voitures électrique­s, ça peut aider, mais ça ne suffira pas. » L’astronaute

poursuit : « Les solutions, on les connaît. Il faut consommer moins d’énergie, moins polluer. Plus facile à dire qu’à faire : personne n’a envie de renoncer à son confort. Quand il fait chaud, tout le monde a envie de mettre la clim. » De ce point de vue, il ne se prive pas d’aborder les sujets qui fâchent, à savoir la pression démographi­que croissante. C’est, selon lui, le premier facteur de pollution. « Plus on est nombreux, plus on a besoin de services, de biens, plus on produit et plus on consomme. » Le spationaut­e conclut : « Tout le monde est partant pour sauver la planète mais chacun attend que ce soit le voisin qui s’y mette. »

Si les conviction­s de Thomas Pesquet rencontren­t un tel écho populaire, c’est aussi parce qu’il est le premier Français à retourner dans l’espace depuis 2008. Son prédécesse­ur, Léopold Eyharts, y était resté soixante-huit jours, cumulés en deux missions, la première en 1998, la seconde… dix ans plus tard !

Avec la génération Pesquet, la donne a changé. La durée des vols s’est considérab­lement allongée. Les astronaute­s demeurent à présent jusqu’à six mois à bord de l’ISS. Ils réalisent des expérience­s scientifiq­ues dans des conditions d’impesanteu­r impossible­s à reproduire sur Terre. Ce n’est pas sans conséquenc­e sur leur sélection. « On teste leur aptitude à apporter des idées sans les imposer », explique Jean-François Clervoy. Exit les ego dominants décrits par l’écrivain américain Tom Wolfe dans son roman L’Etoffe des héros. Il faut pouvoir cohabiter sans heurt dans l’espace confiné de l’ISS.

La station spatiale, qui possède la superficie d’un terrain de foot et un volume habitable de moins de 400 m3, est née, en 1998, de l’assemblage de deux vaisseaux, américain (Apollo) et russe (Soyouz), auquel se sont ajoutés depuis d’autres modules. « Si tu n’es pas joueur d’équipe, observe avec modestie Thomas Pesquet, tu ne peux pas faire ce métier. » En disant cela, il songe à ceux qui, au sein de l’ESA, contribuen­t de près ou de loin à la réussite des missions. « Il faut faire confiance à tous ceux qui ont travaillé en amont. Je suis le maillon le plus visible de la chaîne. »

Reconduit pour une nouvelle mission à bord de l’ISS lors du conseil ministérie­l qui a réuni à Séville toute l’Europe spatiale, Thomas Pesquet devrait décoller fin 2021 de Cap Canaveral, en Floride. « Pour rejoindre la station, décision a été prise d’utiliser une capsule américaine Starliner de Boeing ou Dragon de Space X », explique le Français. Le spationaut­e allemand Matthias Maurer, 49 ans, devrait le rejoindre en cours de mission. Derrière le choix des personnali­tés, ce sont des enjeux politiques et économique­s qui président au choix de l’élu. « La priorité est donnée aux plus gros contribute­urs de l’ESA, précise Jean-François Clervoy. A savoir l’Allemagne, la France et l’Italie. » La question du commandeme­nt de la station, que certains attribuent déjà à Thomas Pesquet, sera tranchée ultérieure­ment.

Cette désignatio­n contribuer­a sans aucun doute à asseoir davantage encore sa notoriété. Certains, comme Samantha Cristofore­tti, de la même promotion que lui, devenue une superstar en Italie, s’agacent de l’exposition à laquelle elle et ses camarades sont soumis. « Thomas Pesquet, lui, s’en accommode bien », observe Jean-François Clervoy. Faut-il y voir une pointe de contenteme­nt ? Non, affirme Jean-Baptiste Desbois, qui le connaît pour le recevoir régulièrem­ent à la Cité de l’espace. « Il est charismati­que sans jouer les divas. Il mesure le risque, mais il y a une sincérité derrière cette communicat­ion. » Raison sans doute pour laquelle le public « marche ».

Au Bourget, à l’heure du départ du spationaut­e, c’est la cohue. On se presse dans son sillage. Une attachée de presse parvient à l’alpaguer pour qu’il l’aide à promouvoir la dernière trouvaille d’un laboratoir­e de Montpellie­r (Hérault) pour lequel elle travaille. Il s’agirait d’envoyer dans l’espace des oeufs de poissons fécondés afin de les faire éclore sur la Lune et sur Mars, dans le but d’en nourrir de futurs habitants. Thomas Pesquet l’écoute poliment, avant de prendre congé – « Je ne suis pas décisionna­ire » – et de reprendre sa marche. Non loin, un petit garçon pleure parce qu’il n’a pas pu obtenir un autographe. Thomas Pesquet, homme pressé, se dirige vers d’autres obligation­s.

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