LES ERREURS DE MARGRETHE VESTAGER
La nouvelle Commission européenne sera celle du réveil de l’Europe ou de sa muséification. Cette Commission n’aura évidemment pas tous les pouvoirs : le Conseil et le Parlement comptent. Mais, bien qu’on puisse le regretter, la Commission demeure l’instance décisionnaire centrale sur des questions comme l’innovation et la concurrence.
Revitaliser notre puissance exige au préalable de comprendre ce qui distingue l’économie du xxie siècle de l’économie fordiste. L’économie du numérique, des robots et de l’intelligence artificielle n’est pas celle du textile, du pétrole et de l’industrie automobile. Les entreprises ne se développent pas de la même façon, et donc la doctrine qui fonde le droit de la concurrence doit évoluer. Au xxe siècle, le droit de la concurrence devait éviter que les entreprises ne deviennent trop grandes car, en s’approchant d’une position de monopole, elles avaient tendance à augmenter leurs prix et à dégrader la qualité de leurs produits. A partir d’une certaine taille, il fallait même démanteler les entreprises dans l’intérêt des consommateurs. Au xxie siècle, les effets de réseau et l’intelligence artificielle aboutissent à une configuration inverse : plus les entreprises du type Facebook, Amazon ou Netflix sont grandes, plus elles sont en capacité d’apporter de la valeur à leurs utilisateurs. Plus le nombre de personnes connectées à Facebook est élevé, plus le réseau est utile. Plus Amazon fédère de vendeurs, plus les consommateurs peuvent trouver ce qu’ils cherchent à bon prix. Plus il y a de personnes abonnées à Netflix, plus ses algorithmes pénètrent nos goûts et donnent aux scénaristes des indications sur ce qui plaît. L’économie du xxie siècle est oligopolistique : les entreprises du numérique et de l’IA qui réussissent grandissent horizontalement (elles attirent de plus en plus de clients) et verticalement (les distributeurs deviennent progressivement des producteurs, ou l’inverse). Ces mouvements se font dans l’intérêt du consommateur.
C’est cette analyse qui m’amène à être en désaccord total avec les propos tenus par la commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager. Vestager est devenue une sorte d’idole de certains de mes amis libéraux, alors que sa vision de l’économie est constructiviste et totalement en décalage avec la réalité de notre siècle. La commissaire envisage la concurrence comme une situation dans laquelle un grand nombre d’entreprises de taille réduite s’affrontent sur un marché pur et parfait. Cette vision n’est pas à jour. Margrethe Vestager commet deux autres erreurs. Elle considère que la priorité est de faire en sorte que les PME européennes utilisent des outils numériques et algorithmiques. Le vrai sujet, ce n’est pas que l’Europe utilise ces technologies, mais que des entreprises européennes d’envergure mondiale les produisent afin d’être positionnées sur les segments les plus rentables de la chaîne de valeur industrielle. Elle déclare aussi que l’accès aux données et à l’argent « ne fait pas tout ». Tout, peut-être pas, mais quasiment tout, sans doute.
La Commission européenne craint que la France ne veuille construire des champions européens à base de Meccano industriel étatique et de subventions publiques. Cette voie, qui a tant échoué par le passé, n’est en effet pas à suivre. Mais l’obsession de l’infantilisation du consommateur nous conduit aussi dans une impasse. L’Union européenne doit mettre en place les conditions qui permettront à des investisseurs privés et à des entrepreneurs de créer des champions européens dans le secteur de la troisième révolution industrielle. En cas d’échec, ce n’est pas un monopole européen qui projettera son ombre sur les consommateurs européens, mais un monopole américain ou, plus sûrement, chinois.
Sa vision de l’économie est en décalage avec la réalité de notre siècle