GRENOBLE-GAP : UN TER EN SURSIS
Si des travaux ne sont pas décidés rapidement, la petite ligne est menacée de fermeture en décembre 2020. Des dizaines d’autres sont sur la sellette.
Vigie silencieuse, le mont Aiguille veille sur la petite gare de Clelles-Mens. En contrebas de cette dent du Vercors, considérée comme le berceau de l’alpinisme, les deux voies ferrées et la bâtisse jaune pâle baignées d’un doux soleil d’hiver donnent à cette halte des airs de carte postale. « Pour attraper le TER de Gap qui file sur Grenoble, il faut rejoindre le quai d’en face », nous presse l’agent de circulation. En jargon SNCF, Clelles-Mens est un Pang, pour « point d’arrêt non géré ». Les cheminots assurent la sécurité lors des passages de trains, mais la gare reste vide.
Parti de Gap à 12 h 05, le train qui relie les Alpes du Sud à celles du Nord s’est déjà arrêté trois fois : à VeynesDévoluy et Aspres-sur-Buëch dans les Hautes-Alpes, puis à Lus-la-CroixHaute dans la Drôme. Au total, neuf communes sont encore desservies par la SNCF. « En 2021, ce sera peutêtre zéro », soupire Martine, 65 ans, en s’installant dans la rame. Le GrenobleGap est en sursis : si aucun investissement n’est réalisé sur une bonne moitié de la ligne (entre Vif et Lus-laCroix-Haute), il fermera. Dans un rapport dévoilé en septembre 2017, SNCF Réseau prévoit un « arrêt des circulations en décembre 2020 ». Une enveloppe de 3 millions d’euros a été débloquée pour assurer des travaux dans l’immédiate périphérie de Grenoble – au nord de la commune de Vif – dès l’an prochain. Mais le reste du parcours est toujours menacé. Une échéance imminente qui désole les habitants.
DES USAGERS EN PLEINE INCERTITUDE
Grenoble-Gap n’est pas la seule « ligne de desserte fine du territoire » en danger. Sur un tiers du réseau français, le trafic moyen n’est que de 13 trains par jour. La France compte 200 lignes répertoriées comme peu ou très peu fréquentées avec une moyenne de 30 voyageurs par train. Toutes ne sont pas destinées à fermer dans l’immédiat : le remplacement par un car ou un train plus léger peut aussi être envisagé. Mais pour les usagers de ces territoires, ces changements auront des conséquences tangibles.
Martine doit se rendre à Grenoble « pour des raisons médicales » et n’a pas envisagé une seconde d’utiliser sa voiture. Elle tient dans sa main le plan du TAG, le réseau des transports en commun grenoblois, et les horaires du Grenoble-Gap. Elle vise le train de 18 h 10 pour rentrer. A cette heure de sortie du bureau, les rames seront bondées. « Le tronçon entre Grenoble et Clelles est le plus fréquenté, raconte Cédric Lecharme, aux commandes du TER depuis le mois de mai. Il y a beaucoup d’abonnés, notamment jusqu’à Vif. Ils travaillent à Grenoble, mais vivent en périphérie et n’empruntent pas une route déjà saturée. »
Dans sa cabine vitrée, il est aux avant-postes. Le profil des 800 à
1 000 personnes, selon les estimations, qui prennent place chaque jour, les endroits où SNCF Réseau impose de rouler à 50 kilomètres/heure pour ne pas user les rails fatigués, les changements de lumière au fil des 110 kilomètres du trajet… rien ne lui échappe. La seule chose qu’il ignore, c’est l’avenir de la ligne. Impossible pour lui de donner le moindre renseignement aux usagers.
DES CONSÉQUENCES NÉFASTES POUR LE TOURISME
Inquiets, certains habitants du plateau du Trièves se sont regroupés pour défendre « leur » omnibus des montagnes. Lionel Perrin, agriculteur et membre du collectif de l’Etoile ferroviaire de Veynes, commune des Hautes-Alpes d’où l’on peut rejoindre Valence, Grenoble, Briançon et Marseille, est de ceux-là. « Un train qui disparaît, c’est un territoire qu’on délaisse, explique le trentenaire d’une voix posée. Déjà enclavée, la ville de Gap en pâtirait sur les plans de l’accessibilité et de l’attractivité. » S’il est difficile de chiffrer le manque à gagner pour un territoire en cas de disparition du chemin de fer, il est tout de même possible de se faire une idée de ses conséquences sur la vie économique en se référant au passé. « La suppression des trois allers-retours supplémentaires quotidiens entre Paris et Briançon a fait baisser la fréquentation touristique de 15 % », se souvient le député LREM des Hautes-Alpes et rapporteur de la commission des Finances à l’Assemblée, Joël Giraud. Un coup dur pour les hôtels, restaurants et refuges locaux. « Hiver comme été, Gap vit du tourisme, abonde Marc Gueydon, président de l’Union des métiers de l’industrie hôtelière des Hautes-Alpes. S’il y a un accès ferroviaire en moins, on peut craindre une baisse de fréquentation de 20 % dans une station comme SuperDévoluy. »
Le TER met deux heures cinquante pour relier Grenoble à Gap, contre deux heures il y a quelques années. En cas de fermeture de la voie et de remplacement sur l’ensemble du parcours par un car, le confort des voyageurs pourrait se dégrader. « Il me faut sept heures pour arriver chez mes cousins, à Paris, s’agace une jeune voyageuse prénommée Camille, en fumant sa cigarette sur le quai de la gare de Grenoble. A certains horaires, il y a déjà des cars pour Clelles, mais si c’est systématique, ça sera pénible. »
Adouber la route comme unique horizon au déplacement des citoyens a de quoi faire tiquer à l’heure du réchauffement climatique. « Quand une ligne ferme, 40 % des voyageurs utilisent à nouveau leur voiture », prévient la Fédération nationale des associations d’usagers des transports en s’appuyant sur les travaux du cabinet de conseil sur la mobilité TransMissions. Une situation en contradiction avec la position du gouvernement, qui assure que « le maintien d’une desserte maillée du territoire national […] est un enjeu majeur », pour lequel 1,5 milliard d’euros doivent être débloqués. C’est en tout cas ce qu’affirmait Elisabeth Borne, alors ministre des Transports, en janvier dernier, dans une lettre au préfet François Philizot, chargé de rédiger un diagnostic complet. Ses conclusions, qui tardent à être publiées, devraient être assorties d’un plan d’action.
Difficile pour le gouvernement de se positionner sur un seul cas avant d’avoir officiellement tranché sur tous les autres. En septembre dernier, le secrétaire d’Etat aux transports, JeanBaptiste Djebbari, a tout de même promis que l’Etat débloquerait 10 millions d’euros sur les 70 nécessaires au sauvetage de l’ensemble du tracé GrenobleGap. Les autres acteurs concernés par le chantier, les départements et les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Sud (ex-Paca), ont, eux aussi, assuré qu’ils financeraient leur part. Laurent Wauquiez, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, a même surenchéri. Mais rien ne se passe. « On a l’impression que les choses sont scellées et que tout le monde se renvoie la balle pour ne pas assumer la paternité politique de la décision », se désole Lionel Perrin. A Clelles-Mens, le temps est suspendu.
« Quand une ligne ferme, 40 % des voyageurs utilisent à nouveau leur voiture »