RUDOLF HESS. LA DERNIÈRE ÉNIGME DU IIIe REICH
par Pierre Servent. Perrin, 500 p., 25 €.
Depuis quelques années, la biographie de haut dignitaire nazi est devenue un (petit) filon de librairie. C’est au tour de Rudolf Hess d’y avoir droit. Il faut avouer que le destin de celui qui fut un temps désigné comme successeur d’Hitler est nimbé de mystères. Cette biographie vivante et précise aurait d’ailleurs pu être sous-titrée « D’une prison l’autre ». Hess scelle en effet son intimité avec le futur Führer dans la prison de Landsberg après le putsch raté de 1923, accompagnant l’écriture de Mein Kampf. Et il finit sa vie dans celle de Spandau, à Berlin, après plus de quarante années de détention consécutives au procès de Nuremberg. Entre les deux, cet ascète végétarien, propagateur fanatique du catéchisme nazi, chauffeur de stade pour « l’Homme » – c’est ainsi qu’il désigne son idole absolue, Adolf Hitler –, aura accompli l’un des gestes les plus fous de la Seconde Guerre mondiale : le 10 mai 1941, il monte secrètement dans un Messerschmitt et saute en parachute au-dessus de l’Ecosse. Là, il déclare vouloir proposer une paix séparée à l’Angleterre. Coup de folie individuelle ? Intox nazie à quelques semaines de l’opération Barbarossa sur le front de l’Est ? Churchill et les Anglais ne le prennent pas au sérieux.
Le « mystère Hess » commence. Pierre Servent examine toutes les hypothèses, écartant les théories conspirationnistes les plus extravagantes qui ont éclos autour de l’étrange Rudolf. Son attitude maniaco-dépressive au procès de Nuremberg n’éclairera guère les choses (même si un chapitre passionnant raconte comment il a tenté de révéler au monde les clauses secrètes du pacte germano-soviétique d’août 1939). Après son suicide, en 1987, les autorités décideront de détruire la prison de Spandau, comme pour faire table rase du passé. A sa place, on construira un supermarché.
18/20
On ignorait tout d’Iñaki Uriarte, critique littéraire né en 1946 à New York au sein d’une famille basque de Saint-Sébastien, établi aujourd’hui à Bilbao. Alors, lire le journal qu’il a tenu de 1999 à 2010… Mais son titre a piqué notre curiosité, et la préface enthousiaste, signée du philosophe-surfeur Frédéric Schiffter, achevé de nous convaincre. Merci du conseil : Bâiller devant Dieu se révèle un bonheur de lecture ! D’emblée, l’Espagnol donne le ton : « J’aime le temps lent, pressé par aucune urgence, je dirais presque à la limite de l’ennui. » Il excelle dans cet exercice de la confession, car la prétention et la gravité lui sont étrangères. Il leur préfère la lucidité, l’observation attentive de son époque, les réflexions – riches d’enseignements – sur la littérature. Avec une élégance mâtinée d’irrévérence, sans nulle grandiloquence. Forcément, Paul Valéry est son maître : « Entre deux mots, il faut choisir le moindre. » Leçon bien retenue par Uriarte pour nous entretenir tant de son chat Borges (surnommé Borgito) que de Schopenhauer, de sa chère plage du Levant à Benidorm que du pessimisme de Nietzsche, des « horribles programmes de la télévision » dont il raffole que des grands auteurs lus et relus. Une compagnie très éclectique où se côtoient Montaigne, Kafka, Chamfort, Pascal, Rimbaud, Balzac, Stendhal, Proust, Truman Capote, Octavio Paz, André Gide, Alberto Manguel, ou encore
« ce sacré névrosé qu’était Tolstoï ». N’ayant jamais entrepris de s’atteler à un roman, le diariste dissèque le genre avec d’autant plus de distance, s’intéressant au mystère des best-sellers, s’amusant aussi des « disputes entre écrivains ». Sous l’apparente légèreté de sa plume, le propos est nourri, passionnant.
« Je suis un mythomane qui aime chercher des noises aux mythes. » Une espèce rare, d’un commerce réjouissant.