On the road again
Pour nous autres lecteurs français, le nom de Jack Kerouac est surtout associé à Sur la route, son mythique bréviaire de la Beat Generation. Alors que nous célébrons cette année le cinquantième anniversaire de la mort de l’écrivain, les éditions Tristram ont l’excellente idée de rééditer Les Vies parallèles de Jack Kerouac, jadis publiées par Henri Veyrier. Une véritable mine d’or. A la fin des années 1970, ses auteurs, Barry Gifford et Lawrence Lee, ont retrouvé tous les témoins directs de la vie décousue de Kerouac, dont les très longs témoignages composent cette « biographie orale ». On y suit le jeune Jack, garçon au charme fou et champion de football américain, de sa petite ville de Nouvelle-Angleterre à l’université Columbia. C’est là, à New York, qu’il va rencontrer toute une faune de mauvais garçons et d’esprits brillants, au premier rang desquels William Burroughs, grand bourgeois carburant au peyotl et à la morphine, qui lui fait découvrir le philosophe allemand Oswald Spengler. Ils inventent la bohème déjantée, partageant appartements et amant(e)s, nombre d’entre eux étant bisexuels. Dans la bande, on trouve également Neal Cassady. Ce double sombre de l’écrivain, petite frappe et « vagabond magnifique », l’accompagnera dans le fameux road trip vers San Francisco qui inspirera Sur la route (la fin de l’ouvrage propose une très utile table de correspondance entre les personnages réels et ceux des romans de Kerouac). La « biographie orale » a ceci d’agréable que l’on a l’impression de partager la vie erratique de ces « clochards célestes » jusqu’en leurs excès – le romancier ne survivra pas à sa consommation effrénée de tokay et s’éteindra à 47 ans seulement. Barry Gifford et Lawrence Lee ont tricoté tous ces témoignages poignants de main de maître, faisant de ce récit kaléidoscopique une sorte de contre-histoire intime de l’Amérique d’après guerre. Un modèle du genre.
LES VIES PARALLÈLES DE JACK KEROUAC par Barry Gifford et Lawrence Lee, trad. de l’anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent. Tristram, 412 p., 23,90 €. 18/20