Louis-Julien Petit
Les Invisibles
Faire du cinéma, c’est un moyen d’éveiller les consciences, de changer le regard sur un sujet. Je ne sais faire que ça, du cinéma, avec ma caméra comme arme pour provoquer le débat dans une société qui n’apporte pas de réponses. Je cherche les miennes dans la fiction. Pour Les Invisibles, c’est le documentaire de Claire Lajeunie, Femmes invisibles, survivre dans la rue, qui m’a sensibilisé à la dure réalité des chiffres : 4 SDF sur 10 sont des femmes, 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, dont 4 millions en grande précarité, dans l’un des pays les plus riches au monde. Je dois en faire un film. Je n’ai plus une envie ni un devoir, mais la responsabilité de mettre en avant ce sujet que personne ne veut voir. Dans Discount, j’ai traité du gaspillage alimentaire (qui a abouti à une loi lors de la COP 21 : interdiction dans la grande distribution de jeter des produits encore consommables). Dans Carole Mathieu, c’était le hard management (lutte pour la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle). Dans Les Invisibles, c’est l’investissement
sans relâche des travailleurs sociaux et la question des femmes dans la rue, comme combattantes modernes, que j’ai voulu mettre en lumière.
Je m’intéresse à tous ces « invisibles », ceux que la société met de côté, et mes films portent essentiellement sur des injustices sociales, où les personnages, qui y sont confrontés, cherchent des solutions. Qu’importe le but à atteindre, c’est le combat par le biais de la désobéissance civile qui m’intéresse : c’est interdit mais c’est juste… J’interroge ainsi le spectateur, à travers la fiction et l’humour, en essayant de réinventer la comédie sociale. Il ne s’agit pas de présenter LA solution (que je n’ai pas la prétention de détenir), mais de susciter le débat. Mes films n’ont pas d’ambition politique, mais notre travail – celui de Liza Benguigui, ma productrice, et le mien – ne s’arrête pas dans une salle de cinéma. On essaie de partager notre film le plus possible afin qu’il puisse éventuellement avoir une incidence directe sur ceux qui prennent les décisions. Ainsi, Anne Hidalgo, qui a vu Les Invisibles en avant-première au festival d’Angoulême, a proposé d’ouvrir, à l’hôtel de ville de Paris, un lieu où, depuis un an, 73 femmes vivent H24 en sécurité. C’est une conséquence concrète dont je suis fier. D’autres actions ont été lancées dans le sud et le nord de la France, comme les collectes de produits hygiéniques distribués lors de maraudes. En résumé, ma démarche n’est pas de dénoncer, mais de militer POUR une cause, en tentant de trouver des solutions positives et humaines. Pour reprendre une réplique du personnage de Corinne Masiero dans Les Invisibles, ces films, « ce sont des graines qu’on plante… ».
Je suis médecin et j’ai pratiqué en milieu hospitalier ainsi qu’en libéral. Or cet univers est un reflet de la société et de ses dysfonctionnements. J’ai l’espoir, en racontant des histoires de vie ou de mort qui se déroulent dans un hôpital, dans un cabinet médical, de témoigner du monde dans lequel on évolue. Plus précisément, je parle de gens qui trouvent du sens dans leur travail. Les métiers de soin ne sont pas qu’un emploi. Il y a un savoir-faire, un artisanat peut-on dire, et un engagement qui nourrit l’existence.
L’univers hospitalier a été ultracodifié par les séries qui en ont fait un lieu de soap ou de thriller. Mon parti pris est de le filmer dans sa réalité. Deux choses nourrissent mon travail : l’envie d’histoires romanesques (la santé permet d’évoquer la maladie, la souffrance, l’amour, l’amitié…) et celle de porter un regard sur notre monde en général et plus particulièrement sur l’institution médicale, qu’il faut remettre en question. Je ne pense pas que mes films influent sur les décisions du ministre de la Santé, mais porter à la connaissance du plus grand nombre les problématiques, c’est donner des armes pour discuter et relayer un combat mené sur le terrain – comme, en ce moment, le personnel soignant qui est en grève mais travaille quand même pour assurer le service minimum. Trois jours avant la sortie de Première année, le gouvernement annonçait la fin du numerus clausus. Je me doutais bien qu’il n’y avait pas de lien direct avec la sortie du film, mais j’étais rassuré de voir que cette histoire trouvait un écho dans l’actualité.
Mon travail de cinéaste est influencé par mon parcours de médecin. Je me place du côté de mes personnages, pour lesquels j’ai une grande affection, ce qui crée une proximité avec le public. Pour autant, je ne crois pas à l’envie narcissique du spectateur qui voudrait qu’on raconte « son » histoire. Il paie sa place aussi bien pour vivre des aventures romanesques que pour partager une réflexion qui le concerne, qu’il cherche à exprimer auquotidien.Lefilmdevient,dèslors,unrelais,unappui.