Edouard Bergeon
Au nom de la terre
Al’heure où les agriculteurs en ont marre de bosser pour ne rien gagner, où on les accuse d’être des pollueurs, de maltraiter les animaux, où ils doivent nourrir les néoruraux et les urbains qui ignorent comment ce qu’ils mangent arrive dans leur assiette, j’ai le sentiment que mon film met de l’huile dans les rouages d’un débat de plus en plus grippé. Mi-septembre, Brigitte et Emmanuel Macron ont voulu le voir. Après quoi, on a organisé un dîner de travail. J’y ai emmené des agriculteurs, les représentants de Solidarité paysan, une association qui fait de la veille et de l’accompagnement. Pendant les cinq heures de discussion, le président n’a pas touché son téléphone. Il a recueilli les infos, des engagements ont été pris et les dossiers avancent. A l’Assemblée nationale, des députés travaillent actuellement sur des projets de loi. Un sénateur a déposé une proposition de loi visant à prévenir les situations inextricables. Tout établissement bancaire ou financier constatant un solde négatif récurrent chez un agriculteur doit alerter ce dernier de la nécessité d’informer la Mutualité sociale agricole. Celle-ci aura obligation de déclencher un accompagnement social et psychologique. On aura au moins servi à cela.
Mais, au-delà du monde agricole, ce sont les citoyens dans leur ensemble – nous tous, consommateurs – que le film alerte. Nous avons dans notre poche un bulletin de vote qui est notre carte bleue pour choisir ce qu’on achète ou non : local, français, en circuit court, de saison… Nos agriculteurs nous nourrissent, mais ils crèvent.
Nos films, ceux de Thomas, de Louis-Julien et les autres, ont l’énergie du détail, de notre expérience, de nos connaissances. Et il est touchant de voir un public agricole se déplacer pour Au nom de la terre. Certains n’étaient pas allés au cinéma depuis dix ou vingt ans, voire n’y avaient jamais mis les pieds. Et voir les gens garder le silence pendant le générique de fin, avant d’applaudir quand la lumière se rallume, et les retrouver débattre dehors, sur les parkings des multiplexes, prouve que le film a libéré la parole. En parallèle, beaucoup d’enfants et de femmes d’agriculteurs m’ont écrit pour me remercier, fiers qu’un film parle d’eux enfin justement. Et je me nourris de ces débats et commentaires pour mes prochains films. L’un sur ce que l’on met dans notre assiette, l’autre sur les changements environnementaux et les enjeux énergétiques. Cela dit, j’ai beau venir du documentaire, je ne fais pas un cinéma de dossier, mais un cinéma, humain, populaire. Parce que les gens ont besoin d’un socle qui les représente.