LE FAUX AMI DU CAPITAINE DREYFUS
par Philippe Oriol. Grasset, 248 p., 19 €.
C’est entendu, le lieutenant-colonel Picquart est le héros de l’affaire Dreyfus, tout comme il est la star incarnée par Jean Dujardin dans le film de Roman Polanski qui triomphe actuellement sur les écrans. Il aurait sacrifié sa carrière pour innocenter le capitaine déporté au bagne au nom de la vérité. Tel est, en tout cas, le Picquart entré dans notre mythologie républicaine. Grand spécialiste de l’Affaire, l’historien Philippe Oriol jette un regard plus nuancé sur le personnage dans une contre-enquête qui dissèque entomologi quement son attitude tout au long du scandale, en s’appuyant sur certains documents inédits. Plus jeune lieutenant-colonel de l’armée française, homme brillant et cultivé, Picquart, chargé d’enquêter sur l’affaire au sein de l’état-major, aurait en réalité d’abord atermoyé, pour se conformer aux désirs de sa hiérarchie, qui souhaite étouffer le scandale. Il « espionne » même la correspondance entre Dreyfus et sa famille, persuadé que les lettres contiennent des messages cryptés. Certes, par la suite, il sera celui qui, en dénonçant le « faux Henry », ouvrira la voie à la révision et paiera d’un an de prison son attitude courageuse. Malgré cela, ses relations avec son « faux ami » Dreyfus resteront fraîches, comme le montre bien le compte rendu étonnant de leur rencontre chez un avocat publié ici. Picquart refusera même ostensiblement de serrer la main du frère du capitaine lors du procès Zola. A l’origine de cette distance, des divergences sur la stratégie judiciaire à mener. Et, peut-être aussi, chez Picquart, des préjugés antisémites typiques de son milieu, dont Philippe Oriol dresse l’inventaire, dévoilant un petit fond d’antijudaïsme d’époque. Bref, le lieutenantcolonel aurait été à la fois un faux ami et un vrai héros.