L'Express (France)

Etats-Unis : Pete Buttigieg, l’outsider qui monte

Jeune, polyglotte, vétéran de l’Afghanista­n, gay et catholique pratiquant, le maire démocrate de South Bend (Indiana) brigue la Maison-Blanche. Un pari osé. Mais pas fou.

- Par Axel Gyldén et Corentin Pennarguea­r (à New York)

Et si c’était lui ? Un pays – les Etats-Unis – qui a choisi comme président un Noir, Barack Obama, puis un animateur de télé-réalité milliardai­re, Donald Trump, pour lui succéder est parfaiteme­nt capable d’accueillir à la Maison-Blanche le premier leader ouvertemen­t gay de son histoire ! En attendant la présidenti­elle du 3 novembre 2020, Pete Buttigieg (prononcez : « boutédèdge ») est, en tout cas, bien parti pour créer l’événement. En fait, c’est déjà le cas : à la surprise générale, depuis la mi-novembre, les sondages le placent en tête de la course des primaires pour l’investitur­e démocrate dans l’Iowa (centre du pays, 3 millions d’habitants) et le New Hampshire (côte Est, 1,3 million d’âmes), les premiers Etats à se prononcer pour le choix du candidat du parti à la présidenti­elle, les 3 et 11 février.

Dans ces deux Etats, l’outsider de 37 ans, qui est le maire de South Bend (Indiana), une commune de 100 000 habitants, obtient respective­ment 24 % et 20 % d’intentions de vote et devance nettement ses concurrent­s septuagéna­ires : Bernie Sanders, Elizabeth Warren, Joe Biden – dans cet ordre-là. L’entrée tardive dans la course des primaires, fin novembre, de l’ancien maire de New York Michael Bloomberg pourrait toutefois modifier la donne. Certes, l’Iowa et le New Hampshire ne représente­nt que 2 Etats sur 50, mais l’histoire montre que terminer en tête des premiers scrutins peut déterminer la suite des primaires. « S’il remporte l’Iowa et le New Hampshire, il se met en position de gagner les primaires démocrates, confirme Geoffrey Layman, professeur de sciences politiques à l’université Notre Dame à South Bend.

En 1976, Jimmy Carter, obscur gouverneur de Géorgie, avait réussi cette performanc­e… qui l’avait propulsé vers l’investitur­e démocrate puis la présidence. Sans avoir gagné dans le New Hampshire, Barack Obama a lui aussi amorcé une dynamique gagnante avec sa victoire dans l’Iowa en 2008.

Avec son pedigree, Pete Buttigieg possède déjà tous les ingrédient­s pour un bon « storytelli­ng ». Et de quoi devenir un personnage médiatique. Maire démocrate dans un Etat pro-Trump, ce fils d’un professeur de littératur­e est à la fois un diplômé de Harvard, un vétéran de l’US Navy (il a passé huit mois en Afghanista­n), un fervent fidèle de l’Eglise épiscopale et un homosexuel assumé. Depuis 2018, il est marié à Chasten Glezman, 30 ans, un professeur de lycée qu’il a connu via une applicatio­n de rencontre.

Enfin, ce candidat « ovni » est polyglotte : il parle plus ou moins couramment le français, le dari (parlé en Afghanista­n), le norvégien, le maltais, l’arabe, l’espagnol, l’italien. « Par-dessus le marché, c’est un excellent débatteur avec une pensée très structurée, comme l’ont montré ses différente­s prestation­s lors des premiers débats télévisés entre précandida­ts démocrates, constate J. Miles Coleman, éditeur associé de la newsletter Sabato’s Crystal Ball, publiée par le Center for Politics de l’université de Virginie. Ses talents de rhétoricie­n ne sont pas tout à fait du niveau de ceux de Barack Obama, mais il n’est pas loin. »

Ancré dans la culture du Midwest, où les valeurs chrétienne­s dominent, Pete Buttigieg concilie son homosexual­ité et sa foi pour mettre en avant son humanisme. « Dans ses discours, il évoque souvent la religion, reprend le politologu­e de South Bend Geoffrey Layman. Parmi les candidats démocrates, qui en parlent peu, il est clairement à part. »

« Mayor Pete » – son surnom – affiche en outre un bon bilan en tant que maire de South Bend, une ville industriel­le en déclin depuis les années 1960. « Avant son élection en 2011, South Bend était considérée comme la troisième commune la plus malheureus­e des Etats-Unis, poursuit Layman. Depuis, il a revitalisé le centre-ville, attiré de nouveaux business et insufflé un état d’esprit positif. »

Journalist­e au South Bend Tribune depuis un demi-siècle et mémoire vivante de la ville, Jack Colwell ajoute : « Buttigieg a été un maire très populaire. Il a remporté son premier mandat haut la main et a été réélu avec un score en hausse. S’il avait décidé de se présenter une troisième fois, il aurait fait encore mieux. »

Son principal problème est l’électorat noir. Auprès de celui-ci, sa popularité tourne actuelleme­nt autour de… 0 %. « Il est possible que cette impopulari­té s’explique par son homosexual­ité, car sur les questions sociétales, les démocrates afro-américains, ainsi que les latinos, sont habituelle­ment plus conservate­urs que les Blancs », reprend

J. Miles Coleman, de l’université de Virginie. De plus, Buttigieg traîne comme un boulet sa première grande décision en tant que maire : il avait congédié le premier chef de la police afro-américain qu’ait connu South Bend.

« En réalité, explique le journalist­e vétéran Jack Colwell, le police chief avait placé sur écoute certains officiers blancs de son commissari­at ; son licencieme­nt n’avait donc rien à voir avec sa couleur de peau, mais cette image est restée. » Certains reprochent aussi au maire de n’avoir pas assez embauché de policiers noirs. « Mais la vérité, poursuit Colwell, c’est que la municipali­té peine à recruter des policiers tout court. Trop de gens dénigrent la police, ne lui font pas confiance. Personne ne veut rejoindre ses rangs. »

La question du vote noir n’a rien d’anecdotiqu­e. Si elle pèsera peu lors des primaires de l’Iowa et du New Hampshire, début février, elle sera déterminan­te en Caroline du Sud, le 29 du même mois. Dans cet Etat du Sud où vivent cinq millions d’habitants, 1 électeur sur 3 est un Afro-Américain. Or seulement 1 % des Noirs seraient prêts à choisir Buttigieg. Pour convaincre cet électorat, le candidat s’aventure en terrain glissant. Lors d’un récent débat télévisé, il a expliqué que le fait d’être gay lui permettait de mieux comprendre la lutte des Noirs contre les discrimina­tions.

Il y a sans doute du vrai dans cette affirmatio­n. Mais certains AfroAméric­ains ont immédiatem­ent critiqué cette prise de position. Pour Oliver Davis, conseiller municipal noir de South Bend, « les Afro-Américains n’ont pas, comme les gays, la possibilit­é de faire leur coming out au moment où ils le décident », orientant ainsi la discussion vers la « concurrenc­e des mémoires ». Candidate démocrate et rare élue de couleur au Sénat, Kamala Harris en a profité pour tacler son rival des primaires en le qualifiant de « naïf ». Mais rien n’est perdu pour Pete Buttigieg. Il lui reste deux mois et demi pour déployer son habileté rhétorique. Et convaincre les Noirs américains qu’un homme comme lui peut succéder à Donald Trump.

« SES TALENTS DE RÉTHORICIE­N NE SONT PAS SI LOIN DE CEUX DE BARACK OBAMA »

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Inédit Le candidat (à dr.) et son mari, Chasten, en couverture de Time.
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Frémisseme­nts Les sondages placent l’iconoclast­e concurrent en tête pour l’investitur­e démocrate dans l’Iowa et le New Hampshire, premiers Etats à voter, début février. Les choses pourraient se compliquer en Caroline du Sud, étape suivante des primaires.

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