Exposition : les promesses de Matisse
Evénement dans les Hauts-de-France : au Cateau-Cambrésis, la ville natale du peintre, 250 oeuvres de jeunesse sont réunies pour la première fois, dont une vingtaine de tableaux inédits.
Une vocation aussi soudaine qu’inattendue et une interminable période de vaches maigres avant de percer. Ainsi pourrait-on résumer les débuts d’Henri Matisse (1869-1954). A l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance, le Nord, son territoire d’origine, se concentre sur les vingt premières années de sa carrière. L’événement – inédit – a lieu dans les Hauts-deFrance, au musée Matisse du CateauCambrésis, ville natale de l’artiste.
Sous l’égide de son directeur Patrice Deparpe, homme-orchestre de l’exposition, l’institution départementale – fondée par le peintre lui-même en 1952 – a mis le paquet : cinq ans de travail et de négociations pour réunir 300 oeuvres issues de 30 grands musées internationaux. Signées Matisse, pour la plupart, mais pas seulement : une cinquantaine de compositions, qui l’ont influencé, sont présentes. Leurs auteurs ? Goya, Chardin, Van Gogh, Cézanne, Gauguin, Monet, ou encore Picasso.
Qui était Henri avant Matisse ? Au départ, rien ne prédestine ce fils d’un modeste marchand de grains à devenir une star des cimaises, même si, dans cette région dévolue à la production textile, le petit Henri, qui grandit au milieu d’étoffes aux couleurs et aux motifs resplendissants, nourrit un goût pour le décoratif. Sa santé fragile ne lui permettant pas de succéder à son père, il se destine au droit. L’étudiant passe un an sur les bancs de la fac à Paris, où le bouillonnement artistique de la capitale le laisse de marbre. Revenu en terre nordique, diplôme en poche, il exerce comme clerc d’avoué à SaintQuentin (Aisne). C’est là que tout bascule. Alors qu’il est cloué au lit après une opération de l’appendicite, sa mère lui offre une boîte de couleurs. Une révélation : « J’ai senti que c’était là ma vie. »
A 19 ans, il peint son premier tableau, Nature morte aux livres, en représentant sur la toile ce qu’il a sous la main : ses manuels de droit… qu’il lâche très vite pour se consacrer exclusivement à l’art. Retour à la capitale, où il va connaître une bonne dizaine d’années de galère. A l’académie Julian, ses professeurs, biberonnés au conformisme le plus strict, ne lui font pas de cadeau. « C’est mauvais, tellement mauvais que je n’ose pas vous dire combien c’est mauvais », lui assène l’un d’eux. Son Nu debout de janvier 1892, présenté à l’examen d’entrée aux Beaux-Arts, ne remporte pas plus de succès : Matisse, qui prend quelques libertés avec les règles anatomiques en vigueur, est sèchement recalé. Soixante ans plus tard, face à cette oeuvre de jeunesse, le peintre désormais célèbre ira de son petit commentaire : « C’est un bon dessin. Je ne dessine pas mieux aujourd’hui. Je dessine autrement. »
AU SUD, LA LUMIÈRE
En rejoignant l’atelier de Gustave Moreau, qui officie à la marge des fanatiques de l’idéal classique, Matisse peut enfin échapper à la doctrine formatée de ses premiers enseignants. Il y demeurera jusqu’à la mort de son maître, en 1898, et lui restera à jamais reconnaissant : « Avec Moreau, on pouvait gagner le métier correspondant à son propre tempérament. » Le professeur incite ses élèves à se faire la main au Louvre. Pendant dix ans, Henri Matisse s’y rend chaque après-midi pour réaliser des copies. Il décortique inlassablement les processus créatifs de Poussin, Raphaël, Le Lorrain, Vélasquez et, surtout, Chardin. De ce dernier, il reproduit La Pourvoyeuse, exposée au Cateau-Cambrésis parmi la vingtaine d’oeuvres montrées
pour la première fois au public. « Au cours de ces années de formation, pendant lesquelles dominent les natures mortes et les dessins académiques, c’est à partir de ce tableau que Matisse commence à travailler sur la figure humaine », souligne Patrice Deparpe.
Sur les conseils de Gustave Moreau, Henri Matisse se confronte aussi à la rue et à la nature. En compagnie d’Albert Marquet, son comparse d’atelier, il croque des scènes de l’effervescence parisienne : passants, ouvriers, cabarets, calèches… Dans la foulée, il découvre la Bretagne. A Belle-Ile-en-Mer, sa palette s’éclaircit dans les pas de Monet et des impressionnistes. Puis ce sera la Corse et Toulouse, où, note le commissaire, « l’homme du Nord fait l’expérience de la lumière, du grand soleil et de son rôle sur les couleurs, découverte décisive qui va lui faire emprunter une nouvelle voie ».
DANS LA COUR DES GRANDS
Matisse se passionne pour les travaux de Van Gogh et de Cézanne. Du second – « notre maître à tous », ainsi qu’il le qualifie – il acquiert les Trois baigneuses et ne se résoudra jamais à vendre cette toile « porte-bonheur », alors même que la dèche frappe à sa porte. Car, marié à Amélie Parayre, Matisse élève leurs deux enfants, en plus de Marguerite, née de sa liaison avec le modèle Caroline Joblaud, et il est complètement à sec. C’est le retour, piteux, dans le Nord. Acculé, désespéré, Henri envisage de remiser ses pinceaux au grenier et de postuler comme coloriste dans une filature.
Les Goya, qu’il redécouvre au musée de Lille, infléchissent le cours de son destin. Matisse prend conscience que « la peinture peut être un langage et même qu’elle ne peut être que cela ». Il décide de persévérer. Grâce à quelques natures mortes vendues chez Vollard, le peintre séjourne à Saint-Tropez. La couleur pure est au coeur de sa création. A l’hiver 1904, Luxe, calme et volupté annonce le fauvisme, qui va faire entrer l’artiste dans la cour des grands et infléchir l’histoire de l’art moderne. Au Salon, accrochées à côté de celle de son complice Derain, ses toiles font scandale par leurs aplats de couleurs violentes. En cet automne 1905, Henri devient enfin Matisse…
DEVENIR MATISSE. Musée Matisse, Le Cateau-Cambrésis (Nord). Jusqu’au 9 février.