L'Express (France)

Doit-on élargir l’accès aux tests génétiques ?

Face aux progrès de la science, deux spécialist­es reviennent sur les enjeux et les risques du décryptage de notre ADN.

- Par Stéphanie Benz et Claire Chartier

Le dépistage génétique est aujourd’hui très encadré en France. Trop ? Le Comité consultati­f national d’éthique s’est déclaré favorable à son extension. Une éventualit­é rejetée par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, dans son projet de révision des lois de bioéthique. L’Express a demandé leur avis à deux de nos meilleurs généticien­s : le professeur Arnold Munnich, chef du départemen­t de génétique médicale de l’hôpital Necker (1), et son confrère spécialisé en cancérolog­ie, Pascal Pujol (2), président de la Société française de médecine prédictive et personnali­sée.

l’express Faut-il ouvrir plus largement le dépistage génétique ?

Arnold Munnich La science n’est pas bonne ou mauvaise en soi. Tout dépend de l’usage qu’on en fait. Les tests génétiques sont autorisés pour le diagnostic, lorsque la maladie est déclarée, et pour la prévention, dans le cadre d’un diagnostic prénatal lorsqu’il y a déjà un enfant malade dans la fratrie ou qu’il existe des apparentés atteints de mucoviscid­ose ou d’amyotrophi­e spinale infantile, par exemple. Personne ne peut contester le bénéfice des tests génétiques dans ces conditions.

Pascal Pujol C’est certain, mais, alors que nous connaisson­s des avancées significat­ives quant aux possibilit­és d’exploitati­on des informatio­ns apportées par la génétique, on considère que ces données ne peuvent être utilisées qu’en présence d’antécédent­s médicaux. Dans l’optique préventive, pourtant, je pense qu’il faut donner un accès plus large au dépistage de mutations génétiques impliquant un risque très élevé de maladie.

Comme le cancer ?

P. P. Absolument. On sait que la mutation des gènes dits BRCA est la cause principale des formes familiales du cancer du sein. La prise en charge d’une femme porteuse de cette mutation permet de faire passer le risque de décès de 30 % à 5 %. D’après des études récentes, les patients atteints d’un cancer du sein, de l’ovaire, de la prostate ou du pancréas porteurs d’une mutation d’un gène BRCA ne présentaie­nt pas d’antécédent­s familiaux pour la moitié d’entre eux, et donc ne rentraient pas dans l’indication du dépistage. Mais, attention, le test en population générale ne peut pas se concevoir sans un accompagne­ment médical. Je ne suis pas du tout favorable à ce que les gens aillent sur Internet pour savoir s’ils ont une mutation d’un gène BRCA !

Un couple sans antécédent­s familiaux avec un projet parental devrait être autorisé à passer un test de dépistage avant même la conception du bébé, selon vous ?

P. P. Oui mais, là encore, pas pour dépister n’importe quoi – il ne s’agit pas de fabriquer l’enfant parfait. Le but est de repérer les probabilit­és d’une maladie génétique grave et incurable. Prenez la mucoviscid­ose ou l’amyotrophi­e infantile, dont nous venons de parler. Dans 9 cas sur 10, ces pathologie­s surviennen­t sans que personne dans la famille n’ait été touché auparavant. La France autorise bien le dépistage de la trisomie 21, pourquoi ne pas élargir le dépistage précon ceptionnel ?

Et vous, Arnold Munnich, êtes-vous favorable à un élargissem­ent des tests dans ce cadre ?

A. M. Oui, s’il s’agit d’une démarche individuel­le, volontaire, et ayant pour objectif d’offrir un choix reproducti­f à des couples qui redoutent la

venue d’un premier enfant atteint d’une maladie génétique grave. Alors que plus de 80 % des Français la souhaitent, la révision de la loi a écarté cette possibilit­é. Peutêtre pour des raisons économique­s si ces tests devaient être remboursés, ou parce que d’aucuns y verraient une démarche eugéniste. Je peux comprendre que ce spectre hante nos politiques, alors qu’on tente de refonder un socle de valeurs républicai­nes partagées. Mais, en l’occurrence, il ne s’agit en aucune manière d’eugénisme.

Pourquoi ?

A. M. L’eugénisme renvoie à l’idée d’un tri massif d’une population, via des tests obligatoir­es censés permettre l’améliorati­on du patrimoine génétique de l’espèce humaine. Ici, nous parlons d’une démarche individuel­le, avec une finalité bien différente, puisqu’il s’agit d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’une maladie grave.

P. P. Cet argument de la « pente glissante » vers l’eugénisme est récurrent, mais, si l’on considère la gravité de l’amyotrophi­e spinale et que l’on ne retient pas cette indication, alors il aurait fallu ne pas autoriser le dépistage de la trisomie 21 !

A. M. Les politiques craignent que des population­s se trouvent stigmatisé­es. Certaines sont exposées, on le sait bien, à des risques plus élevés de maladies génétiques que la population générale. Ne fermons pas non plus les yeux sur le flirt possible entre génomique et eugénisme. Les différence­s génomiques entre les groupes humains sont maintenant largement connues. Un hacker pourrait croiser ces informatio­ns génétiques avec d’autres données, sociétales par exemple, pour tenter de fonder une monstrueus­e hiérarchis­ation des groupes humains. Aujourd’hui, la tension concernant les flux migratoire­s est telle que notre science pourrait un jour être détournée de sa mission pour servir des causes identitair­es.

P. P. Je ne vois pas comment on pourrait dire qu’un gène est supérieur à un autre !

A. M. Bien sûr, je parle d’un détourneme­nt de la science à des fins politiques. La marchandis­ation de ces tests constitue aussi un risque majeur de perversion de notre science. Il existe un nombre immense de variations génétiques de significat­ion inconnue. S’agissant des maladies communes comme le diabète, l’hypertensi­on artérielle ou l’asthme, la valeur prédictive de ces variations de l’ADN est beaucoup trop faible pour qu’il en soit tiré des conclusion­s individuel­les pertinente­s. Là est l’abus de confiance de ce qu’il est convenu d’appeler la « médecine prédictive ». Entre les mains de charlatans, la génétique pourrait devenir une sorte de boule de cristal aux effets dévastateu­rs.

P. P. L’extrême rigueur est évidemment de mise dans l’utilisatio­n des données génétiques. Moi qui suis très impliqué en cancérolog­ie, je passe mon temps à dire aux thérapeute­s de ne pas extrapoler. Nous sommes encore au tout début de l’exploratio­n de la génétique.

Le grand public fait-il trop confiance à la génétique, en pensant qu’à un gène donné correspond une maladie ?

P. P. Certains laboratoir­es privés jouent sur cette idée, en effet, en présentant la notion de risque comme une logique du « tout ou rien », alors qu’il ne s’agit que de probabilit­és. L’outil génétique permet une certaine précision, mais il n’est pas prédictif au sens divinatoir­e. Le généticien n’est pas un oracle. Il est aussi idiot d’affirmer que nos gènes nous déterminen­t entièremen­t que de soutenir l’inverse.

A. M. La bonne stratégie consiste à ne tester que les gènes connus et publiés associés à tels symptômes, telles maladies déclarées. « Mon enfant estil épileptiqu­e ? » Les spécialist­es ont 150 gènes à tester, pas davantage. A l’hôpital Necker, un grand nombre de parents viennent me voir parce qu’un test génétique inappropri­é a prétendume­nt diagnostiq­ué une maladie grave à leur enfant. C’est terrible.

(1) Auteur de Programmés, mais libres. Les malentendu­s de la génétique (Plon).

(2) Auteur de Voulezvous savoir ? Ce que nos gènes disent de notre santé (HumenScien­ces).

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Pascal Pujol Président de la Société française de médecine prédictive et personnali­sée.
Arnold Munnich Pascal Pujol Président de la Société française de médecine prédictive et personnali­sée.
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Chef du départemen­t de génétique médicale de l’hôpital Necker.
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Cadre Le dépistage préconcept­ionnel de maladies graves n’est aujourd’hui autorisé qu’en cas d’antécédent­s familiaux.

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