L'Express (France)

Europe : les orphelins de Thatcher

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Les grandes ambitions de la nouvelle Commission européenne se sont fracassées sur les égoïsmes nationaux.

Pour un peu, on y aurait presque cru. Le temps d’être bercé par les déclaratio­ns prometteus­es d’Ursula von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission européenne. Pacte vert, Europe de la défense, souveraine­té industriel­le, saut technologi­que… le tout mâtiné d’un idéal d’Europe sociale.

Coincée entre les deux hyperpuiss­ances que sont la Chine et les Etats-Unis, l’Europe se réinventai­t un destin. Las ! l’espoir d’un sursaut européen a volé en éclats lors du dernier sommet à Bruxelles, les 20 et 21 février. Il reste encore des nostalgiqu­es de Margaret Thatcher sur le Vieux Continent. Nostalgiqu­es de son inflexibil­ité, de sa capacité de blocage. Ces orphelins se nomment Mark Rutte, Sebastian Kurz, Mette Frederikse­n, Stefan Löfven. Ils sont aux commandes aux Pays-Bas, en Autriche, au Danemark, en Suède. A eux quatre, ils représente­nt à peine 9,5 % de la population européenne et seulement 14 % des richesses produites, mais ils ont pris l’Union en otage. Alors que les VingtSept devaient statuer sur les grandes lignes du prochain budget pluriannue­l de l’UE – le premier sans le Royaume-Uni –, ils ont tout bonnement jeté aux orties le programme mitonné par le président du Conseil, le Belge Charles Michel. Un refus cinglant, sous le regard presque bienveilla­nt de l’Allemagne, qui a fait très opportuném­ent de ces « quatre frugaux » les porte-flingues de sa propre frilosité. Pour ne pas dire pingrerie. Vue de France, cette opposition s’est cristallis­ée sur la diminution annoncée du budget de la politique agricole commune. Une vision tronquée de l’affaire. En réalité, c’est l’idée même d’une Europe ambitieuse, conquérant­e et surtout affirmant sa volonté de puissance que ces pays, arc-boutés sur une orthodoxie budgétaire dépassée, retoquent. « Il faudra investir massivemen­t dans l’innovation, la recherche, les infrastruc­tures, le logement et la formation. Il faudra des investisse­ments publics et privés, au niveau européen comme au niveau national », s’enflammait encore Ursula von der Leyen, le 27 novembre.

Ces grandes ambitions se sont fracassées, pour l’instant, sur la réalité financière. Ou plutôt sur les égoïsmes nationaux. La feuille de route budgétaire de Charles Michel n’était pourtant pas renversant­e au regard du plan imaginé par la Commission. Le grand programme d’innovation et de recherche « Horizon Europe » ? Réduit de plus de 3 %. Le programme d’échanges Erasmus pour les étudiants, l’un des plus populaires de l’Union ? Raboté de près de 20 %. Le fonds européen de la défense cher aux Français ?

Amputé de près de 40 % ! Mais, pour le club des « frugaux », il fallait aller encore plus loin. Pas question de mettre au pot davantage que 1 % de leur produit intérieur brut, là où le Parlement européen, soutenu par d’anciens membres du bloc de l’Est, espérait au moins 1,3 %. Pas question non plus d’en finir avec la politique ubuesque des rabais dont bénéficien­t certains membres et, au premier chef, l’Allemagne. Pas question enfin de poursuivre plus avant la quête de ressources financière­s propres à l’Union européenne. Le sujet n’a même pas été abordé. La France avait pourtant un plan – la création d’une « compensati­on carbone » aux frontières de l’Europe et d’un impôt sur les déchets plastiques non recyclés –qui aurait pu faire rentrer au total près de 14 milliards d’euros par an dans les caisses de l’Union. Là encore, le refus a été catégoriqu­e.

L’Europe manque de souffle. Et surtout d’incarnatio­n politique. Merkel paralysée, Macron englué, l’Italie et l’Espagne aux abonnés absents… Certes, les blocages budgétaire­s n’ont rien de nouveau : lors des précédente­s négociatio­ns, en 2012, le même club des radins européens avait déjà râlé, refusant tout effort supplément­aire. Depuis, l’annonce du départ du Royaume-Uni n’a rien changé, au contraire. Les dirigeants des Pays-Bas, d’Autriche, de Suède ou du Danemark ont toujours autant d’oursins dans les poches. Surtout, dans ces quatre nations, la montée électorale de l’extrême droite lors des dernières années s’est traduite par une attitude plus hostile envers l’Europe. Comme si les bons scores engrangés par le Parti pour la liberté aux Pays-Bas, le FPÖ en Autriche, les Démocrates de Suède ou le Parti du peuple danois avaient suffi à alimenter une fibre antibruxel­loise chez les gouverneme­nts en place. Dommage, car, selon l’Eurobaromè­tre, les opinions publiques de ces territoire­s demeurent profondéme­nt attachées à l’Union européenne, considéran­t dans leur très grande majorité que l’adhésion à l’UE leur a été bénéfique. Comme en 2012, en cas de blocage, l’arbitrage reviendra aux grands pays. A savoir la France et l’Allemagne. A l’époque, Angela Merkel et François Hollande avaient réussi à façonner, quelques mois plus tard, un compromis boiteux, comme l’Europe nous y a habitués. Mais la chancelièr­e allemande version 2020 n’est plus celle de 2013. Prisonnièr­e de son électorat et en fin de règne, elle a perdu la main. Emmanuel Macron, lui, a le verbe. Est-ce suffisant pour couvrir la voix des héritiers de Margaret Thatcher et finir par convaincre cette partie de l’Europe qui n’y croit plus ?

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