Sylvain avant Tesson
Alexandre Poussin a connu l’auteur de La Panthère des neiges au lycée. Ensemble, ils ont escaladé la tour Eiffel, traversé l’Himalaya, écrit leurs premiers livres. Souvenirs.
Lycée. « J’ai rencontré Sylvain Tesson en classe de première à PassyBuzenval, à Rueil-Malmaison. C’était un lycée privé de garçons tenu par les Frères Lasaliens. A l’époque, il avait les cheveux frisés et des lunettes rondes, portait des culottes de peau autrichiennes et des Dr. Martens ! Il était petit pour son âge, il a grandi d’un seul coup plus tard. Comme je faisais beaucoup de sport, notamment de la gymnastique, je le protégeais un peu, j’ai deux ans de plus que lui. On a commencé à jongler ensemble, puis à jouer de la flûte à bec à deux, c’est ainsi qu’est née notre amitié. C’était un personnage baroque, à la fois clown surréaliste et scout d’Europe. Il grognait tout le temps, aimait les cascades ; on le surnommait Calimero.
Notre lycée était très actif dans le soutien à Solidarnosc, en Pologne. L’Association des parents d’élèves envoyait des camions de vivres et de médicaments là-bas. Plus tard, on a conduit nous-mêmes un camion à Cracovie. On a aussi fait le pèlerinage de Chartres à pied et des retraites dans le monastère de Bec-Hellouin. Sylvain admirait la civilisation chrétienne, les églises, les rituels, mais la question de la foi était un problème pour lui.
On s’amusait à se suspendre par un bras, arborant un costume de théâtre, sous le pont de Chatou. Je l’ai initié à l’escalade, on grimpait sur l’église, puis sur l’aqueduc de Louveciennes. On faisait des trucs de
dingues, comme rouler 400 mètres à vélo sur le sommet de l’aqueduc large de 1 mètre : la moindre erreur aurait été fatale. Sylvain s’est d’ailleurs retrouvé au commissariat pour ça. Sa mère était terrorisée et trouvait que j’avais une bien mauvaise influence sur son fils… »
Dans le ciel de Paris. « On s’est suivis en hypokhâgne. Là, on est passés au stade supérieur. On escaladait de nuit la tour Eiffel. En 1989, on a installé une balançoire au sommet, juste sous l’encorbellement : on se balançait dans le ciel. La suite, ce fut Notre-Dame, costumés en Vikings, jusqu’au sommet de la fameuse flèche. On a aussi escaladé Saint-Augustin déguisés en Romains, Saint-Germain-des-Prés vêtus d’un kilt, Sainte-Clotilde d’un frac. On a aussi suspendu un hamac sous le pont Alexandre-III. Le matin, on réveillait les clochards par un concert de flûte à deux voix. L’acoustique était fantastique ! Nos nuits, on les passait là, dans le ciel de Paris. Les boîtes de nuit enfumées, ce n’était pas notre truc ! D’ailleurs, à l’époque, Sylvain n’était pas encore intéressé par les filles, et ne buvait pas une goutte d’alcool. Il était plutôt timide, pas mondain, c’était un ours solitaire. J’étais son seul ami. Paris Match nous a consacré un premier article sur ces grimpes de monuments. Sylvain avait pris le pseudonyme d’Alistair MacPherson. A l’époque, il était très branché monde celtique, druides, elfes, lutins, etc. »
Sur la route. « Nos diplômes en poche, une maîtrise de géographie pour lui et Sciences po Grenoble pour moi, on est partis pour un tour du monde à vélo. On voyageait léger, on dormait n’importe où, dans la nature ou chez les gens, on est restés pile un an sur la route. Au retour, Robert Laffont a eu un coup de foudre pour notre histoire et a publié On a roulé sur la Terre, qui a très bien marché. Ce livre nous a lancés.
Puis on a fait la traversée à pied de l’Himalaya en 5 000 kilomètres, une première. On n’avait pas de visas, 7 kilos sur le dos, on passait par les cols en short, on est entrés clandestinement au Tibet chinois, puis illégalement en Inde. Sylvain poussait toujours le bouchon plus loin, il adorait le risque, il a un côté romantique, s’en fout la mort ! On s’est sauvé la vie mutuellement plusieurs fois. A notre retour, nous avons coprésenté, de 1997 à 1999, le magazine Montagne sur France 3, grâce au succès remporté par notre film Ils ont marché dans le ciel dans cette même émission. »
Personnalité de Sylvain. « Il est extrêmement intelligent et cultivé, il a baigné dans une famille très stimulante, a vu passer hommes politiques et journalistes à la maison. C’est un virtuose de la rhétorique, il est extrêmement habile et peut faire passer des idées un peu raides grâce à son style. C’est un sacré talent. Sylvain est un prophète, un signe des temps. »
Eloignement. « Etrangement, nos liens se sont distendus après notre voyage en Himalaya. Je me suis marié, mais il n’est pas venu à la cérémonie. Avec mon épouse, Sonia, nous avons parcouru 14 000 kilomètres pendant trois ans en Afrique, puis 5 000 kilomètres à Madagascar en quatre ans avec nos enfants ; nous avons tourné des films, publié des reportages dans Paris
Match, mené des actions humanitaires. Avec Sylvain, on ne s’est quasiment plus revus depuis vingt ans. Si, un jour, nous nous sommes croisés au festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo. Je lui ai dit :
« – Allez, on se pardonne nos erreurs, c’est trop con ! On tourne la page ?
– Ça tombe bien, j’ai tourné la page, et ton nom était écrit dessus », a-t-il répondu. J’ai trouvé ça dur, mais quel bon mot ! Quelle chute !