Début d’année tourmenté pour Shinzo Abe
Le Premier ministre est l’objet de plusieurs polémiques, tandis que l’économie nippone, menacée par le Covid-19, traverse une zone de turbulence.
Scandales à répétition, économie en berne et gestion désastreuse de l’épidémie de coronavirus : les « emmerdes » semblent « voler en escadrille » pour Shinzo Abe en ce début d’année. Manifestement déstabilisé, le Premier ministre japonais montre des signes d’agacement. Ce 18 février, en pleine séance au Parlement, il a ainsi lancé au député de l’opposition Junya Ogawa : « Si vous pensez que je mens, prouvezle ! »
Celuici l’interrogeait sur le scandale qui empoisonne le quotidien du chef du gouvernement depuis plusieurs mois, celui de la « Sakura wo miru kai » : une réception annuelle de « personnes méritantes ». Or Abe y aurait convié des centaines d’électeurs de sa circonscription de la préfecture de Yamaguchi (SudOuest), ce qui pourrait caractériser une infraction à la législation sur le financement politique – et donner à l’opposition des munitions pour l’attaquer.
Le Premier ministre est également critiqué pour avoir confirmé dans ses fonctions, début février, et pour six mois supplémentaires, Hiromu Kurokawa, le directeur du parquet de Tokyo. Or, selon la loi, l’impétrant a atteint l’âge de la retraite, fixé à 63 ans. L’opposition soupçonne Abe d’avoir obtenu du ministère de la Justice une nouvelle interprétation de la législation pour ce fidèle.
Cette fois, le chef du gouvernement peine à s’extirper des ennuis, comme il avait pu le faire lors des scandales Moritomo et KakeGakuen qui ont éclaté dans les années 2017 et 2018. Il était alors suspecté d’avoir favorisé des proches pour l’attribution de permis de construire dans le domaine éducatif. A cette époque, cependant, l’économie nippone tournait mieux. Entré en fonction en 2012, Abe pouvait, en 2019, se prévaloir de l’une des plus longues périodes de croissance de l’aprèsguerre. Il bénéficiait également d’une opposition affaiblie, divisée et inaudible.
2020 semble changer la donne. Il n’y a pas que les scandales : son gouvernement doit faire face à la crise du virus Covid19. Manque de communication et de réactivité, flou des décisions prises : la gestion de l’épidémie par Tokyo fait l’objet de vives critiques au Japon – ce qui a fait plonger la cote de popularité d’Abe sous les 40 %. L’archipel comptait, le 21 février, 728 cas, notamment 634 sur le bateau de croisière Diamond Princess, placé en quarantaine du 3 au 19 février dans le port de Yokohama, au sud de Tokyo, et dont l’évacuation a été effectuée dans des conditions discutables.
La gestion de l’épidémie, vivement critiquée, a fait plonger sa cote de popularité sous les 40 %
Outre l’impact sanitaire, l’épidémie menace l’économie, qui n’est déjà pas en grande forme. Au dernier trimestre 2019, le PIB nippon a perdu plus de 6 % par rapport à la même période en 2018, en raison de la hausse récente de la TVA. La consommation des ménages (qui représente près de 60 % de la richesse nationale) s’est effondrée de 11 % et le tourisme, l’un des piliers de l’économie sous M. Abe, est en forte baisse.
Le gouvernement tablait sur une reprise rapide début 2020. Mais, selon Paul Cashin, chef de mission du Fonds monétaire international (FMI) pour le Japon, cité par Reuters, l’épidémie « représente un nouveau risque à la baisse pour l’économie japonaise, même si l’impact dépendra de l’étendue de la propagation et des mesures prises ». Un sentiment partagé dans l’archipel, où le « Abenovirus » masque dorénavant les « Abenomics », motvalise pour désigner la politique monétaire et budgétaire, accompagnée de réformes économiques, du gouvernement Abe.
De ce fait, c’est l’ensemble de ses projets qui se retrouvent menacés. A commencer par la révision de la Constitution. Le Premier ministre aux inclinations nationalistes veut renoncer aux principes pacifistes imposés par les vainqueurs américains après la Seconde Guerre mondiale. Même chose pour son projet d’accueillir le président chinois, début avril, pour une visite d’Etat, la première depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013. Les préparatifs sont retardés par l’épidémie. Prévue fin février, une rencontre préparatoire, « très importante » selon les diplomates, a été annulée.
Enfin, des craintes s’expriment quant à l’organisation des Jeux olympiques, cet été à Tokyo, censés être le point d’orgue de l’action d’Abe, dont le mandat arrive à échéance en septembre 2021. L’inquiétude dépasse le Japon. Shaun Bailey, candidat conservateur à la mairie de Londres, a ainsi proposé de déplacer les JO dans la capitale britannique – qui les a organisés en 2012. « Etant donné les problèmes persistants causés par l’épidémie de coronavirus, j’appelle le comité olympique à envisager sérieusement la manière dont Londres pourrait se tenir prête à accueillir les Jeux olympiques, en cas de besoin », atil écrit sur Twitter, ce qui a suscité de vives réactions à Tokyo.