La « malédiction » de la bauxite
L’exploitation de la plus grosse réserve mondiale de ce minerai permettant la fabrication de l’aluminium ne va pas sans graves atteintes à l’environnement.
La Guinée peut-elle conjurer la « malédiction des ressources naturelles » ? Comme beaucoup d’autres pays du continent, ce « petit » Etat d’Afrique de l’Ouest semble davantage pâtir de sa richesse en matières premières qu’en tirer profit : exploitation hors de contrôle, dégâts humains et environnementaux… A tel point que le président, Alpha Condé, dont le second mandat arrive à terme en novembre prochain, a assimilé la situation à un « scandale géologique, dont les ressources n’ont jamais profité à la population ».
Et pourtant… En plus d’énormes ressources en minerais et matières précieuses (fer, or, diamants), le sous-sol de GuinéeConakry (classée au 174e rang mondial, sur 189 pays, pour son indice de développement humain) regorge de bauxite, une roche de latérite rouge riche en alumine, l’oxyde métallique à partir duquel est fabriqué l’aluminium. Il en renfermerait 40 milliards de tonnes, soit les deux tiers des réserves mondiales.
Selon le ministère des Mines et de la Géologie, la production de cet « or rouge » a franchi le cap des 70 millions de tonnes l’année dernière : une progression fulgurante, comparée aux 18,9 millions de tonnes extraites en 2015. D’ailleurs, la Guinée a ravi au Brésil la place de troisième producteur mondial, avec 17 % de parts de marché, derrière l’Australie (25 %) et la Chine (20 %).
L’essor spectaculaire de la bauxite dope l’économie nationale. « La part du secteur minier dans notre PIB est passée de 9,6 %, en 2010, à 18 %, en 2018, détaille Saadou Nimaga, secrétaire général du ministère des Mines. Les revenus tirés des minerais pèsent aujourd’hui pour un tiers des recettes publiques. »
Mais ces performances économiques s’accompagnent aussi d’un désastre écologique et social pour les villageois de la région de Boké (ouest du pays), haut-lieu
de l’activité minière. « L’exploitation de la bauxite favorise la pollution fluviale et détruit les plantations », accuse le sociologue Mouhamoudou Malick, qui vit à Hamdallaye, en périphérie de Sangarédi, le siège de la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG). « De la boue rouge contamine nos cours d’eau, poursuit-il. Nous avons été déplacés à 5 kilomètres de la ville, loin de tout service public. Et, sans terre arable, les agriculteurs se retrouvent au chômage. » Maladies respiratoires, faibles indemnisations pour les terres saisies, poussières qui rendent les parcelles infertiles… Autant de calamités qui ont poussé un collectif de villageois à porter plainte, en mars 2019, contre la SFI, le bras financier de la Banque mondiale dédié au secteur privé.
Les communautés reprochent à l’institution internationale d’avoir contribué à leur malheur en accordant un prêt de 200 millions de dollars à la CBG. « L’Etat guinéen n’est plus en mesure de réglementer correctement cette activité en plein boom », estime Jim Wormington, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest pour l’ONG Human Rights Watch. Auteur d’un rapport intitulé « Quels bénéfices en tirons-nous ? » reposant sur le témoignage de 300 habitants de Boké, il enfonce le clou : « Le Code minier oblige les sociétés à mener une étude d’impact environnemental, mais le gouvernement ne se montre pas assez exigeant. La croissance économique a pris le dessus sur le respect de l’environnement. » Sollicitée, la CBG n’a pas souhaité répondre à L’Express. De son côté, le ministère des Mines souligne qu’une étude sur les impacts environnementaux et sociaux a bien été réalisée.