Samir Sabri, l’oeil du régime
L’activisme de cet avocat dévoué au pouvoir témoigne du climat répressif qui règne au pays des pharaons.
Apresque 70 ans, Samir Sabri passe le plus clair de son temps sur les réseaux sociaux, qu’il scrute impitoyablement, à la recherche du moindre écart de comportement. Et de la moindre insolence. A la mi-février, l’avocat a porté plainte contre le célèbre acteur et rappeur Mohamed Ramadan, dont les chansons, selon lui, « détruisent le bon goût égyptien », au moment même où les autorités menaient une campagne contre la musique électro chaâbi, accusée d’être subversive. Dans un pays où un citoyen peut porter plainte pour immoralité ou insulte à la nation, cet avocat qui voue une admiration sans limite au président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, mène depuis plus de quarante ans une chasse aux sorcières au nom de la morale. A son palmarès : des artistes, des journalistes, des sportifs, des enseignants, des dignitaires religieux, des politiciens ou encore des membres d’associations de défense des droits de l’homme. Soit plus de 3 000 dossiers portés en justice. « C’est une question de santé publique », clamet-il derrière son grand bureau en bois, où s’empilent les milliers de petites voitures d’enfant qu’il collectionne avec passion. « Ma démarche est essentielle pour l’avenir de notre jeunesse, poursuit-il. Celle-ci ne doit pas être confrontée à des situations ou à des êtres dévoyés. »
Issu d’une famille pieuse, Samir Sabri se lance, après des études de droit, dans la défense des valeurs traditionnelles de l’Egypte, en étroite collaboration avec les régimes successifs. « Il partage les mêmes valeurs antidémocratiques que le pouvoir, explique un chercheur qui requiert l’anonymat. Il offre spontanément ses services pour lancer des poursuites judiciaires contre les opposants au gouvernement. »
La larme à l’oeil, l’avocat confie travailler au « nettoyage de la nation » pour ses petits-enfants. Rien ne l’arrête dans sa croisade. C’est à lui que l’on doit les plaintes déposées contre la chanteuse Sherine Abdel Wahab, qui avait osé affirmer que l’eau du Nil était sale ; contre le politicien Khaled Ali, accusé d’avoir fait un doigt d’honneur devant le Parlement, l’empêchant ainsi de se présenter à la présidentielle ; ou encore contre le lanceur d’alerte réfugié en Espagne Mohamed Ali, à l’origine des manifestations qui ont embarrassé le gouvernement en septembre dernier et entraîné l’arrestation de milliers d’Egyptiens.
Depuis 2013, quelque 60 000 personnes sont ainsi passées derrière les barreaux des geôles égyptiennes. Non sans fierté, Samir Sabri assume son implication dans bon nombre de cas. « Je suis un patriote et un réformateur », affirme, sans rire, l’homme à la petite moustache. Et quand on lui pose la question de la liberté d’expression, il répond, impassible : « Je m’en fiche autant que des droits de l’homme. » Son fait d’armes le plus médiatisé ? En août dernier, il a déposé plainte contre la chanteuse Jennifer Lopez, après un concert donné en Egypte. En cause : des vêtements provocants, incitant à la débauche.