L'Express (France)

« Smic » européen, le grand flop

L’idée de la Commission de fixer dans chaque Etat membre une règle de calcul commune en matière de salaire minimum ne plaît guère. Ni aux syndicats… ni au patronat.

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Esther Lynch a la gouaille de ces syndicalis­tes que le combat ne rebute pas. Quand on lui parle d’Ursula von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission européenne, cette Irlandaise pétulante voit rouge. « Pourquoi vient-elle mettre son nez dans nos affaires ? » s’enflamme la secrétaire générale adjointe de la Confédérat­ion européenne des syndicats. L’objet de son courroux : la promesse faite par la patronne de Bruxelles au Parlement européen de créer un cadre légal de fixation des salaires minimums dans l’Union. Pour la Commission, il s’agit de trouver une réponse au phénomène des travailleu­rs pauvres et de casser le dumping

social qui mine le projet communauta­ire. Louable ambition… sauf que l’affaire paraît mal engagée.

Dans une curieuse alliance de circonstan­ce, patronat et syndicats – qui rendront un premier avis début mars – froncent les sourcils. « C’est un facteur d’affaibliss­ement de notre pouvoir de négociatio­n », s’agace Esther Lynch. Dans les rangs de Business Europe, le lobby des patrons à Bruxelles, on n’est guère plus tendre. « C’est un coin enfoncé dans la souveraine­té des Etats. La fixation des salaires n’entre pas dans le cadre du mandat de l’Union européenne », ajoute Markus J. Beyrer, directeur général de l’organisati­on. Voilà des années que ce chantier est dans les limbes. Poussé par Emmanuel Macron, ce « smic » fait figure de première pierre d’une Europe plus sociale. Dans l’entourage de Nicolas Schmit, le commissair­e chargé du sujet, on s’enflamme à l’idée d’un « nouveau narratif » en la matière. Bref, il s’agit surtout de ripoliner l’image d’une Europe accusée, durant les années de crise, d’avoir exigé des coupes drastiques dans les salaires, notamment dans les pays du Sud. « Nous devons lâcher du lest sur le sujet pour faire passer les projets communauta­ires de transition énergétiqu­e et de mutation numérique », soutient un conseiller de Nicolas Schmit.

Reste que, en matière de salaire minimum, l’Europe est encore plus désunie que sur le volet fiscal. Sur les 27 membres, 6 n’en ont tout simplement pas, dont la

plupart des pays du Nord. Surtout, c’est le grand écart entre un « smic » de 1,87 euro de l’heure en Bulgarie et un autre de 12,38 euros au Luxembourg. Impossible, donc, de tailler le même costume pour tous. L’idée de la Commission serait de fixer une rémunérati­on plancher équivalent­e à 60 % du salaire médian de chaque pays, soit le seuil de pauvreté. Nouveau hic, seuls deux pays respectent cette règle : la France et le Portugal. « En moyenne, les autres membres sont près de 10 % en dessous de cette barre », observe Torsten Müller, chercheur à l’European Trade Union Institute. Difficile, donc, de voir la Commission aller plus loin dans son projet de directive. Les pays de l’ancien bloc de l’Est redoutent une revalorisa­tion salariale qui plomberait la compétitiv­ité de leurs entreprise­s. Ceux du Nord s’inquiètent de la dilution du modèle social scandinave, fait de compromis et de négociatio­n paritaire. Quant aux ex-pays du « club Med », comme le Portugal, ils demandent une augmentati­on des revenus dans leur ensemble, et pas seulement du salaire minimum.

« C’est une mauvaise idée, trop simpliste », explique Gilbert Cette, professeur à l’université d’Aix-Marseille et président du groupe d’experts sur le smic en France. Face à cette fronde, le projet d’Ursula von der Leyen pourrait bien rejoindre le cimetière des promesses européenne­s mort-nées.

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