L'Express (France)

Les zones d’ombre du futur « point »

Le cafouillis autour du nouvel indicateur pour indexer les pensions dans le système universel masque bien d’autres problèmes.

- NATHALIE SAMSON

En matière de retraites, il suffit d’une étincelle pour que les débats s’enflamment. Or les braises couvent. Dernier coup de chaud : la revalorisa­tion du point, un paramètre clef pour calculer le montant des pensions dans le système universel. Le gouverneme­nt l’a répété : la valeur des points ne pourra pas baisser. « La loi prévoira une indexation progressiv­e sur les salaires, qui augmentent plus vite que l’inflation », avait même déclaré Edouard Philippe en décembre. Patatras. C’est finalement le « revenu moyen par tête constaté par l’Insee » qui servira de mètre étalon, précise le projet de loi. Le hic : cet indicateur n’existe pas. Il n’en fallait pas plus pour que la suspicion s’installe. A tort ? « Le cahier des charges est prêt, détaille un conseiller. Ce sera la somme des revenus d’activité pondérée par le poids que représente chaque catégorie profession­nelle : 70 % pour les salariés, 20 % pour les traitement­s des fonctionna­ires, 10 % pour les indépendan­ts. » Les rémunérati­ons de ces derniers risquent de plomber cette unité de mesure, dénoncent certains. Certes, mais « c’est cohérent, puisque le futur système réunira l’ensemble des statuts », approuve Vincent Touzé, économiste à l’Observatoi­re français des conjonctur­es économique­s.

Si ce faux pas traduit un manque de préparatio­n, « il masque des problèmes plus importants, notamment la période de transition prévue dans le projet de loi », alerte Michaël Zemmour, enseignant-chercheur à l’université Paris I. Une montée en charge progressiv­e sur ce nouveau revenu de référence est en effet prévue jusqu’en 2045 « afin de ne pas nuire à l’équilibre du système ». « Les points acquis jusqu’à cette date ne seront pas valorisés comme ce qui est promis, cingle l’économiste. Et pourtant, cela concernera beaucoup de personnes. »

Autre sujet explosif : le « rendement » du système, c’est-à-dire la retraite obtenue à partir des cotisation­s versées, sera-t-il garanti ? Bien que technique, la question n’en est pas moins cruciale. Selon le rapport

Delevoye, au démarrage du régime, 10 euros de cotisation­s permettron­t d’obtenir un point dont la valeur servant au calcul de la retraite (ou « valeur de liquidatio­n ») sera de 0,55 euro. Des montants qui, au fil des années, seront donc revalorisé­s. « Si ces deux valeurs progressen­t au même rythme, c’est une bonne nouvelle pour les cotisants, car cela signifie que le rendement est constant », souligne Pierre Benadjaoud, économiste au Crédit agricole. C’est l’objectif affiché, mais il n’est pas gravé dans le marbre. « L’évolution des deux taux sera logiquemen­t alignée, toutefois la gouvernanc­e de la future Caisse universell­e des retraites pourra la différenci­er », précise le projet de loi.

Le spectre de la fameuse règle d’or resurgit. « On le voit dans l’étude d’impact : l’équilibre financier ne sera pas atteint avant 2050, poursuit Pierre Benadjaoud. D’ici là, les pilotes du système seront contraints de jouer sur les paramètres qu’ils ont en main. Le plus probable est une moindre progressio­n de la valeur de liquidatio­n. » Cette variable d’ajustement a souvent été utilisée par les régimes complément­aires, comme l’Agirc-Arrco, où les rendements ont fondu. En 2012, 1 000 euros de cotisation­s ouvraient droit à une rente annuelle de 65,70 euros, contre 58,10 euros en 2019. Pascale Gauthier, associée chez Novelvy Retraite, a fait ses calculs. « Si la valeur d’acquisitio­n du point grimpe de 1,5 % quand la valeur de service augmente de 1 %, le rendement chute de 4,95 % à 4,93 % sur un an. » 1 euro cotisé donnerait bien les mêmes droits pour tous, mais ces droits diminuerai­ent dans le temps. Pas terrible. « Cela n’arrivera pas », balaie un conseiller, pour qui il faut ici adopter un « prisme plus politique que technique ». « Les décisions seront validées chaque année par les parlementa­ires dans le cadre du projet de loi de financemen­t de la Sécurité sociale, explique-t-il. Un débat à portée nationale empêchera une décision si impopulair­e. On l’a vu avec le gel des pensions. » Une chose est sûre : on n’a pas fini d’entendre parler du point.W

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