L'Express (France)

La C3S, cet impôt dont les jours sont comptés

Le pacte productif prévoit des baisses de charges pour les entreprise­s. La contributi­on sociale de solidarité devrait être la première taxe supprimée.

- PAR FANNY GUINOCHET

Ala tête de Redex, une société familiale qui fabrique des machines-outils, Bruno Grandjean paie chaque année plusieurs taxes aux noms plus barbares les uns que les autres : C3S, CVAE, CFE… Des impôts dits « de production » qui, selon lui, pénalisent son entreprise de Ferrières-enGâtinais, dans le Loiret : « Au total, c’est 500 000 euros par an, un vrai boulet au pied ! Surtout qu’à l’étranger, ces prélèvemen­ts n’existent pas. » Et Bruno Grandjean peut comparer aisément, car Redex a aussi une usine près de Stuttgart, en Allemagne : « Là-bas, à part la taxe foncière, on ne paie rien. » A ses yeux, l’écart est aussi incompréhe­nsible qu’injuste : « Prenez la C3S, la contributi­on sociale de solidarité des sociétés, calculée en amont du résultat. Bénéfices ou pas, c’est une charge fixe incompress­ible. »

Une note de juin 2019 du Conseil d’analyse économique, rattaché à Matignon, confirme ce diagnostic : « La C3S est nocive pour les entreprise­s : elle agit contre leur productivi­té, leur compétitiv­ité, mais aussi leur survie. » Pour ces experts, elle alourdit les coûts de production – la perte de PIB atteindrai­t 720 millions d’euros par an – et agit « comme une taxe sur les exportatio­ns, une subvention aux importatio­ns ». D’où cette préconisat­ion : la supprimer sans tarder. Au sommet de l’Etat, l’affaire semble entendue : « Pour le coup, l’Elysée, Matignon et Bercy sont d’accord », souligne Patrick Martin, président délégué du Medef. Dirigeant du groupe Martin Belaysoud Expansion, à Bourg-en-Bresse, dans l’Ain, il a versé à l’Etat plus de 1,2 million d’euros de C3S l’an dernier. Pour lui aussi, c’est une perte sèche, « de l’argent qui n’ira ni à l’investisse­ment ni aux embauches ».

Patrick Martin a toutefois bon espoir qu’Emmanuel Macron tienne enfin sa promesse. A plusieurs reprises, le chef de l’Etat s’est engagé à en finir avec ce qui s’apparente à un des derniers volets de la politique de l’offre. Il était d’ailleurs aux premières loges lorsque François Hollande a commencé à raboter la C3S, en 2015 et 2016, avec des exonératio­ns pour les plus petites sociétés françaises. « Dans le pacte de responsabi­lité, elle devait être totalement supprimée en 2017. Le gouverneme­nt a reculé, mais le principe est acté », croit aussi Vincent Moulin Wright, directeur général de France Industrie. Sans compter que la C3S est à la seule main de l’Etat. Contrairem­ent aux taxes locales comme la cotisation foncière des entreprise­s (CFE) ou la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprise­s (CVAE), elle ne fait pas l’objet de négociatio­ns avec les collectivi­tés pour fixer la répartitio­n de son produit.

L’annonce de sa disparitio­n est prévue lors de la présentati­on du pacte productif en avril, avec une première inscriptio­n programmée dans le budget 2021. Si l’intention est là, le casse-tête reste entier pour l’exécutif. Comment se passer des 3,8 milliards d’euros que lui rapporte chaque année cette taxe ? Comment combler la perte ? Rien n’est arbitré, si ce n’est une suppressio­n étalée sur plusieurs années. Sans qu’aucune contrepart­ie ne soit demandée, a priori, aux entreprise­s. Au moins en apparence. Car dans le pacte productif, l’exécutif prévoit des mesures écologique­s fortes. « Il reste des niches fiscales pas très vertes pour les sociétés, que nous pourrions supprimer… », avance un conseiller ministérie­l. Le gouverneme­nt devrait aussi proposer aux industriel­s de réduire leur fiscalité s’ils s’engagent à réduire leurs émissions de CO .

« Attention à ce jeu de bonneteau qui se terminerai­t sur une équation à somme nulle pour les entreprise­s », prévient un cadre de l’Afep, l’associatio­n patronale qui défend les grands groupes. Les milieux patronaux craignent aussi d’être sollicités dans le cadre de la réforme des retraites, en débat actuelleme­nt. « Nous nous méfions du contrat implicite du type : “On vous supprime la C3S, faites donc un effort sur la pénibilité au travail” », confie un membre du Medef. Aussi, sans l’assumer, les chefs d’entreprise espèrent-ils « que le gouverneme­nt laissera filer le déficit, car après tout, la fin des impôts de production, c’est un investisse­ment d’avenir ! »

Reste le plus sensible, le volet politique : en plein conflit social sur les retraites, à la veille de l’élection présidenti­elle, comment assumer de baisser la pression fiscale sur les entreprise­s sans être accusé de distribuer – encore – « des cadeaux » aux patrons ? « L’opposition et la majorité nous demandent plutôt des mesures sociales pour les ménages, reconnaît un proche du président. Reste que cette fiscalité est un levier pour aider les entreprise­s à embaucher, et faire baisser encore le chômage. » Au total, les impôts de production représente­nt plus de 70 milliards d’euros chaque année. Presque autant que les recettes de l’impôt sur le revenu !

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